364-394 Bipartition de l'Empire et invasion gothique
Année 364
Succession impériale à la mort de l'empereur Jovien
Le 17 février, Jovien, Empereur depuis le 27 juin 363, meurt dans des circonstances non élucidées à l'âge de 33 ans. Le 26 février, l'armée réunie à Nicée, capitale de la province de Bithynie, désigne Valentinien comme Empereur. Ce dernier associe son frère Valens à l'Empire :
Le nom d'Équitius, tribun de la première école des scutaires, prononcé par quelques voix timides, fut aussitôt rejeté par les membres influents de l'assemblée, à qui cet officier déplaisait par ses formes acerbes et peu civiles. Des suffrages se portèrent aussi sur Janvier, parent de Jovien, et qui remplissait alors les fonctions d'intendant en Illyrie. Mais l'éloignement où il se trouvait fut jugé un obstacle, et soudain, comme par une inspiration de la Providence, Valentinien fut élu, sans qu'une seule voix protestât contre un choix si digne et si convenable. Valentinien était chef de la seconde école des scutaires (cavalerie lourde), et Jovien l'avait laissé à Ancyre, avec ordre de le rejoindre sous peu. L'approbation universelle ayant salué son élection comme un acte de bien public, on députa vers lui pour presser son arrivée. [...] Valentinien s'empressa de déférer à l'invitation; mais averti, dit-on, par des présages et des songes, il ne voulut ni sortir ni se laisser voir le lendemain de son arrivée [...]
L'armée entière était rassemblée dans une plaine spacieuse, au milieu de laquelle s'élevait une tribune semblable à celle qu'on voyait jadis aux comices. Valentinien, invité à y monter, fut, comme le plus digne, proclamé chef de l'empire, au milieu d'immenses applaudissements où le charme de la nouveauté pouvait entrer pour quelque chose. Salué Auguste par ces flatteuses acclamations, il revêt les habits impériaux, ceint son front de la couronne, et se met en devoir de prononcer un discours qu'il tenait tout prêt. Déjà il déployait le bras pour parler, lorsqu'un violent murmure s'élevant de toutes les centuries, manipules et cohortes, réclama impérieusement l'adjonction d'un second empereur. On crut d'abord que la cabale d'un candidat présent protestait par quelques voix isolées et payées; mais non. C'était visiblement le cri unanime de la multitude, qu'un malheur récent venait d'avertir de la fragilité des plus hautes fortunes. [...]
Valentinien, proclamé, comme je viens de le dire, empereur en Bithynie, donna pour le surlendemain l'ordre du départ. Mais auparavant il convoqua les hauts personnages de l'État, et, avec une feinte déférence, les consulta, comme si leur voeu devait dicter son choix, sur la désignation du collègue qu'il devait se donner. Dagalaif, maître de la cavalerie, dit en cette occasion, avec une noble hardiesse: "Prince, si vous obéissez au sentiment de famille, vous avez un frère; votre collègue est tout trouvé. Si c'est le patriotisme qui vous guide, cherchez le plus digne." L'empereur fut blessé au vif; mais, dissimulant cette impression, il se rendit en toute hâte à Nicomédie, où il conféra la charge de grand écuyer avec le tribunat à son frère Valens. Il gagna ensuite Constantinople, roulant mille pensées dans sa tête. Là, se supposant déjà débordé par le torrent des affaires, pour en finir, le 5 des calendes d'avril (le 28 mars 364), il donna dans l'Hebdomon, du consentement général (car nulle opposition n'osa se manifester), le titre d'Auguste à Valens; et, après l'avoir revêtu des vêtements impériaux et ceint du diadème, il ramena dans son propre char cet ostensible associé de son pouvoir, qui n'était en réalité, comme on le verra par la suite, que l'instrument passif de ses volontés. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXVI, 2-4)
Année 365
Usurpation de Procope contre l'empereur Valens en Orient
Simultanément, en septembre, un certain Procope se révolte à Constantinople contre Valens. Ce Procope était issu d'une noble famille, né en Cilicie, apparenté à l'Empereur Julien mort en 363, il mène une brillante carrière militaire : notaire, tribun, puis Comte. Ce dernier l'aurait désigné officieusement comme son héritier s'il venait à périr dans sa grande guerre contre les Perses. Mais la passivité de Procope au cours de cette guerre, qui avait été placé pour l'occasion par julien à la tête de réserves de troupes considérables, le discrédita aux yeux de l'armée. Ce fut donc Jovien qui fut acclamé Empereur :
Dès ce moment il se tint caché, de peur qu'on ne se défît de lui sans forme de procès, et redoubla de précaution en apprenant la fin tragique du notaire Jovien, devenu suspect de prétention à l'empire, uniquement parce qu'à la dernière élection les voix de quelques soldats l'en avaient déclaré digne. Des perquisitions dirigées contre sa personne le firent encore échanger sa retraite contre un asile plus obscur et plus hors de portée. Il y fut de nouveau relancé par Jovien. Las enfin de se voir traqué comme une bête fauve et d'en mener la vie [...] il prit la résolution extrême de gagner par des chemins détournés le territoire de Chalcédoine [...]. De Chalcédoine, Procope fit secrètement plus d'un voyage à Constantinople [...] Méconnaissable à force de maigreur et de malpropreté, le proscrit profitait de cette espèce de déguisement pour recueillir, comme l'eût fait un espion intelligent, les murmures et les plaintes, souvent amères, sur l'avarice insatiable de Valens. [...] Tous les coeurs étaient ulcérés. Dans le peuple, dans l'armée, c'était comme un sourd concert de gémissements qui s'élevait vers le ciel en implorant un changement de régime. Procope, qui observait tout dans l'ombre, jugea que, pour peu que la fortune lui sourit, il pouvait saisir le pouvoir. [...] L'occasion qu'il attendait impatiemment, le sort se chargea de la lui offrir. Valens était parti pour la Syrie après l'hiver, et déjà entrait en Bithynie, quand il apprit, par les rapports de ses généraux, que les Goths renforcés par une longue trêve, et devenus plus redoutables que jamais, s'étaient réunis pour attaquer la frontière de Thrace. Cette nouvelle ne changea rien à ses plans. Il se contenta d'ordonner qu'une force suffisante en infanterie et en cavalerie fût dirigée sur les points menacés. Procope, de son côté, se hâta de profiter de l'éloignement du prince. Poussé à bout par le malheur, et préférant la plus cruelle des morts aux maux qu'il endurait, il voulut risquer le tout pour le tout. De jeunes soldats des légions Divitense et Tongrienne se dirigeaient en ce moment par Constantinople vers le théâtre de la guerre, et devaient séjourner deux jours dans la capitale. Il conçut le projet téméraire de tenter leur fidélité. Un assez grand nombre d'entre eux lui étaient personnellement connus, mais il y avait trop de danger à entrer en pourparler avec eux tous; il ne s'adressa qu'à ceux sur lesquels il pouvait compter. Ceux-ci, séduits par la perspective des plus brillantes récompenses, s'engagèrent par serment à lui obéir en tout, et promirent le concours de leurs camarades, sur qui des services supérieurs et le nombre de leurs campagnes leur donnaient un ascendant non contesté.
Au jour fixé, Procope, livré à l'agitation de ses pensées, se rend aux bains d'Anastasie, ainsi désignés du nom de la soeur de Constantin, et qui servaient alors de quartier aux deux légions. Ses agents l'avaient informé qu'il s'y tiendrait en sa faveur un conciliabule nocturne. Il donne le mot d'ordre, est admis; et le voilà au milieu de cette réunion de soldats à vendre, traité avec honneur, mais en quelque sorte captif. [...] Après cette ignoble parodie du cérémonial d'avènement, et la promesse bassement obséquieuse qu'il fit aux auteurs de son élévation, de les combler de richesses et de dignités dès qu'il serait en possession du pouvoir, il se montra tout d'un coup en public au milieu de cette multitude armée [...] Le cortège s'avançait sans que le peuple donnât signe d'opposition ou de sympathie. [...] Cependant, lorsque Procope, monté sur un tribunal, voulut prononcer une harangue, la multitude ne l'accueillit que par une morne stupeur, un silence de mauvais augure; et il crut d'abord, comme il l'avait craint par avance, n'avoir réussi qu'à hâter l'instant de sa mort. Un tremblement convulsif courut dans ses membres; sa langue s'embarrassa; il resta muet quelques minutes. Puis enfin, d'une voix sourde et entrecoupée, il essaya d'exposer ses prétentions de parenté impériale. Alors salué empereur tant bien que mal, d'abord par le faible brouhaha de quelques bouches séduites, puis par les acclamations tumultueuses de la populace, il se rendit brusquement au sénat, dont les principaux membres étaient absents. N'y trouvant qu'une minorité sans consistance, il courut s'emparer du palais. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXVI, 6)
Une fois installé et reconnu dans la capitale impériale de l'Orient, Procope tente de faire main-basse sur la Thrace et l'Illyrie, deux Diocèses européens situés à l'imméditate proximité de Constantinople. S'il parvient à contrôler la Thrace, il échoue dans sa tentative contre l'Illyrie. Il achète la loyauté des troupes envoyées par Valens dans ce Diocèse en vue d'une guerre éventuelle contre les Goths. Valens, découragé par les succès rapides de son adversaire, et par son manque de popularité, songe un temps à abdiquer. Ses conseillers parviennent cependant à le convaincre de lutter. Il envoie alors deux légions, les Joviens et les Victorins contre Procope, mais ces unités désèrtent et rejoignent ce dernier.
A l'hiver 365, Valens assiège la ville de Chalcédoine, mais ne parvient pas à venir à bout de la résistance des habitants. Finalement vaincu par le manque de vivres, Valens fait retraite, quand le tribun Rumitalque, nommé à l'intendance du palai par Procope, mène une sortie victorieuse avec la garnison de la ville, et taille en pièce une partie des assiègeants. Valens lui-même ne s'échappe que de justesse. La Bithynie passe alors sous le contrôle de Procope.
Revenu à Ancyre, Valens y apprend l'approche de Lupicinus, général fidèle à sa cause, avec des forces militaires considérables. Il s'empresse d'envoyer contre Procope un de ses meilleurs généraux, Arinthée, qui parvient grâce à son autorité à convaincre un corps nombreux d'auxiliaires d'abandonner Procope.
Procope de son côté emporte ensuite la ville de Cyzique où deux hauts fonctionnaires de Valens se sont enfermés, avec d'importants fonds monétaires destinés à rétribuer les troupes de l'Empereur. A la fin de l'année 365, Procope contrôle donc la Thrace, le nord-ouest de l'Asie Mineure, ainsi que des ressources monétaires importantes.
Les Alamans entrent en guerre contre l'Empire et pillent la Gaule, en raison d'une insulte faite à leurs ambassadeurs à la cour impériale.
Année 366
Guerre contre les Alamans en Occident
Au début de l'année, les Alamans, divisés en trois bandes, attaquent en Gaule :
Charietto, qui commandait sous le titre de comte dans les deux Germanies, s'avança contre le premier corps avec ce qu'il avait de meilleures troupes. Il avait appelé à lui Sévérien, qui était cantonné à Châlons avec les Divitenses et les Tongriens, officier du même rang que lui, mais vieux et infirme. Quand leurs forces furent réunies, ils jetèrent avec promptitude et résolution un pont sur une rivière de médiocre largeur; et, du plus loin qu'on aperçut l'ennemi, l'action s'engagea par des volées de traits et de flèches, que les barbares rendirent aux Romains avec usure. Mais quand on
en vint à combattre de près l'épée au poing, notre ligne de bataille, ébranlée par le choc impétueux des barbares, perdit toute vigueur et toute énergie; et à la vue de Sévérien renversé de cheval par un javelot, elle prit tout à coup la fuite. En vain Charietto, gourmandant les fuyards et leur opposant son corps pour barrière, tâcha de leur faire laver cette honte en combattant de pied ferme: lui-même il reçut le coup mortel. Les barbares, après sa mort, s'emparèrent de l'étendard des Hérules et des Bataves, et, le plaçant en évidence, dansèrent autour avec des trépignements d'insulte et de triomphe. Ce trophée ne leur fut repris que fort tard, et au prix de beaucoup de sang. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXVII,1)
Jovin, maître de la cavalerie, prend le commandement des opérations contre les Alamans. Il surprend deux des trois corps des Alamans et les détruit, puis combat le troisième dans une grande bataille rangée :
Jovin se porta sans délai, toujours éclairant sa marche avec prudence, contre la troisième division, qu'il trouva réunie près de Châlons et disposée à combattre. Il prit un campement favorable, s'y retrancha, et employa une nuit à rafraîchir et reposer ses troupes. Le lendemain, au lever du soleil, il disposa son monde habilement dans une vaste plaine, de façon à présenter, bien qu'inférieur en nombre sinon en courage, un front de bataille égal à celui des barbares. Au moment où l'on se joignait au son des trompettes, les Germains s'arrêtèrent, un moment intimidés à la vue de nos enseignes; mais ils se remirent aussitôt, et le combat se prolongea jusqu'à la nuit. La valeur de nos soldats s'y déploya avec sa supériorité ordinaire; et ils auraient recueilli presque sans perte le fruit de leurs efforts si Balchobaude, tribun de l'armature, moins brave en action qu'en paroles, ne se fût honteusement retiré comme la nuit arrivait. Cette lâcheté eût rendu la déroute inévitable si le reste des cohortes avait suivi son exemple, et nul de nous ne serait resté vivant pour en porter la nouvelle. Mais la troupe tint ferme, et porta des coups si sûrs qu'elle tua six mille hommes à l'ennemi et lui en blessa quatre mille; tandis qu'il n'y eut de notre côté que deux mille hommes hors de combat, dont deux cents blessés.
La nuit, qui mit fin à l'action, répara nos forces épuisées; et dès le point du jour le brave général, qui avait déjà formé carrément sa troupe, vit que l'ennemi avait profité des ténèbres pour s'enfuir. En traversant cette vaste plaine tout unie, où nulle surprise n'était à craindre, on foulait aux pieds des monceaux de blessés aux membres déjà roidis, et que la perte de sang et la rigueur du froid avaient bientôt achevés. Après avoir ainsi marché quelque temps sans rencontrer personne, Jovin revenait sur ses pas, quand il apprit qu'un détachement de lanciers, qu'il avait envoyé par un autre chemin piller les tentes des Alamans, avait pris leur roi, qui n'avait plus qu'une faible escorte, et l'avait mis au gibet. Son juste courroux voulait d'abord sévir contre le tribun qui avait pris sur lui un tel acte d'autorité; et la condamnation de ce dernier était certaine s'il n'eût prouvé que l'emportement du soldat ne lui avait pas laissé le temps d'intervenir. Après cette glorieuse expédition, Jovin reprit la route de Paris. L'empereur vint joyeux à sa rencontre, et peu après le désigna consul. La satisfaction de Valentinien était au comble, car il venait de recevoir de Valens l'hommage de la tête de Procope. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXVII, 2)
Suite à ces victoires, Jovin reçoit pour l'année 367 le consulat pour ses mérites. Valentinien, dans la loi du 14 juin 366 (C TH V,7,1) doir réglementer le retour de prisonniers romains, donc certainement nombreux. Ces trois éléments, consulat, retour de prisonniers, ampleurs des pertes chez les Alamans, indiquent que l'invasion des Alamans des années 364-366 fut massive, peut-être davantage qu'à l'époque de Julien. (E.Demougeot P107)
Défaite de Procope contre l'empereur Valens
Au printemps, Valens, appuyé par son général Lupicinus se rend avec des forces imposantes dans la ville de Pessinonte, en Galatie, et de là se dirige vers le sud en Lycie pour attaquer un des partisans de Procope, Gomoarius. Pour s'attirer davantage de soutien et pour favoriser les désertions dans le camp de son adversaire, Valens invite à sa cour un ancien officier de Constantin, Arbition :
L'événement justifia sa prévision. De nombreuses conversions s'opérèrent quand on entendit ce doyen de l'armée, le premier des généraux en dignité comme en âge, vénérable par ses cheveux blancs, traiter de brigand Procope, et, s'adressant aux soldats qui avaient failli, les appeler ses enfants, les compagnons de ses vieux services, et les supplier de se confier à lui comme à leur père, plutôt que d'obéir à un misérable justement décrié, dont le châtiment ne pouvait tarder longtemps encore. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXVI, 9)
Gomoarius abandonne le parti de Procope et se rend volontairement au camp de Valens. Près de Nacolia en Phrygie, enfin, les deux rivaux concentrèrent leurs forces en vue d'une bataille décisive. Alors que la bataille était sur le point de commencer, Agilo, préfet du prétoire de Procope, imite Gomoarius et fait défection à son chef, accompagné par un grand nombre de ses troupes. Procope fut livré à Valens par ses derniers fidèles, les tribuns Florence et Barchalba, qui les fit mettre à mort tous les trois le 28 mai 366. Une purge violente s'ensuit contre les fidèles de Procope, mais aussi de l'empereur Julien (360-363)
En été, un tremblement de terre ravage les côtes de l'Orient romain.
367-369
Campagne du général Théodose en Bretagne
La Bretagne est envahie au nord par les Pictes, alliés aux Attacottes et aux Scots, au sud par les Francs et les Saxons. Valentinien mande le général Théodose pour faire face à la menace avec l'élite des légions de l'Occident : les Bataves, les Hérules, les Joviens et les Victorins. Il divise ses forces et tombe à l'improviste sur les partis ennemis alourdis par leur butin. Par une promesse d'impunité, il rallie dans ses troupes les soldats qui avaient en Bretagne déserté leurs unités.
Au regard du déséquilibre entre le nombre de ses ennemis et ses troupes, Théodose multiplie les embuscades, s'assurant systématiquement de l'avantage du terrain. Il reconstruit dans le même temps les villes du pays, et assure la surveillance des frontières. Il faut près de trois ans à Théodose pour pacifier la Bretagne. Ce succès militaire lui vaut d'être promu à la fin de sa mission au grade de maître de la cavalerie.
Année 367
Guerre de Valens contre les Wisigoths
Au cours de la guerre civile ayant opposée Valens à Procope, ce dernier reçu le soutien de 3.000 guerriers Goths, en raison de ses liens avec la dynastie constantinienne, liée par traité avec ce peuple. Valens déclare en représailles la guerre aux Goths. Refusant les explications fournies par les Goths, il passe le Danube, provoquant la fuite de ces derniers devant le déploiement de forces de l'armée impériale, mais sans parvenir à les pousser à la bataille. Il retraverse le Danube et revient dans l'Empire avec des captifs comme seul résultat tangible.
Valentinien désigne son fils comme co-empereur
Valentinien tombe malade dans la région d'Ammiens où il était en guerre. Pour parer un éventuel putch de l'armée, il désigne son fils Gratien, non pas comme César et successeur désigné, mais pour la première fois dans l'histoire de l'Empire directement au rang d'Auguste, c'est-à-dire co-empereur, le 24 août. Gratien n'est âgé que de 8 ans. C'est le poète Ausone qui est chargé de son éducation. Bordelais d'origine, Ausone est également resté un adepte du paganisme, illustrant l'ouverture d'esprit et la tolérance en matière de religion de valentinien I. En 371, il légifèrera de façon tolérante sur les religions antiques, en estimant que les divinations par les entrailles ne peuvent être qualifiées de sorcellerie, et peuvent être pratiquées. (E.Demougeot P107)
Année 368
Poursuite de la guerre en Occident contre les Alamans
Certainement au courant du départ des meilleures troupes de l'Occident pour la Bretagne, les Alamans se montrent plus audacieux. Un prince Alamans, Rando, profite d'une fête religieuse chrétienne pour piller la ville de Moguntiacum (Mayence), emportant un butin important et un nombre considérable d'otages. En représailles, Valentinien monte une expédition contre les Alamans sur leur territoire :
Le comte Sébastien reçut, en conséquence, l'ordre de concourir à l'expédition avec les troupes qu'il commandait en Italie et en Illyrie. Et, dès que l'hiver eut disparu, Valentinien et son fils, à la tête de nombreux bataillons amplement pourvus d'armes et de munitions de bouche, franchirent le Rhin sans trouver de résistance. On s'avança formant le carré, les deux empereurs au centre, et les généraux Jovin et Sévère sur les deux ailes, pour prévenir toute attaque en flanc. Précédée de guides sûrs pour éclairer sa marche, l'armée s'enfonçait dans de vastes solitudes. [...] Plusieurs jours se passèrent ainsi, et, ne trouvant rien à combattre, on incendiait les maisons et les cultures; épargnant seulement les vivres, que l'incertitude de la situation conseillait de recueillir et de conserver. L'empereur, après cette exécution, continua sa marche, mais en ralentissant le pas, jusqu'à ce qu'il eût atteint un lieu nommé Solicinium. Là il s'arrêta court comme devant une barrière, averti par ses éclaireurs que l'ennemi était en vue à quelque distance.
Les barbares avaient compris que leur chance unique de salut était de reprendre l'offensive; et d'un commun accord ils s'étaient postés sur le point culminant d'un groupe de hautes montagnes composé de plusieurs pics escarpés et inaccessibles, excepté par le versant du nord, dont la pente est douce et facile. Nos lignes plantèrent leurs enseignes, et firent entendre le cri "Aux armes!" mais, sur l'ordre de l'empereur, se tinrent immobiles, attendant que l'étendard levé leur donnât le signal. Cette preuve de discipline était déjà un gage de succès. [...] Sébastien dut occuper d'urgence le revers septentrional de la montagne; manoeuvre qui lui donnait bon marché des fuyards, au cas où les Germains auraient le dessous. Gratien, trop jeune encore pour les fatigues et les dangers d'une bataille, eut sa place marquée à l'arrière-garde, près des enseignes des Joviens. [...] Dès que l'armée eut pris quelque repos, l'étendard se déployant donna le signal ordinaire, accompagné du retentissement. des clairons. Alors deux jeunes guerriers d'élite, l'un scutaire, l'autre du corps des gentils, devancent d'un élan rapide la marche animée de leurs bataillons, invitant d'une voix terrible leurs compagnons d'armes à les suivre. Les voilà aux escarpements du mont, brandissant leurs lances et s'efforçant, en dépit de l'ennemi de franchir cet obstacle. Le gros de l'armée arrive, et, par des efforts surnaturels, parvient sur leurs traces, à travers les buissons et les rochers, à gagner enfin les hauteurs. Alors les fers se croisent, et la lutte s'engage entre la tactique et la férocité brutale. Étourdi du bruit des trompettes et du hennissement des chevaux, les barbares se troublent, en voyant notre front de bataille s'étendre et les enfermer dans ses deux ailes. Ils se rassurent néanmoins, et continuent à se battre de pied ferme. Un moment le carnage est égal et la victoire indécise. Enfin l'ardeur romaine l'emporte. L'effroi s'empare des ennemis, et la confusion qui se met dans leurs rangs les livre aux coups sans défense. Ils veulent fuir; mais, épuisés de fatigue, ils sont pour la plupart joints par les nôtres, qui n'ont plus que la peine de tuer. Les corps jonchaient par masses le champ de bataille. Quant à ceux qui le quittèrent vivants, une partie vint donner sur le corps de Sébastien, qui les attendait sans se montrer au pied de la montagne, et fut taillée en pièces. Le reste courut, à la débandade, chercher refuge au fond de ses forêts. Nous eûmes aussi dans ce combat des pertes assez sensibles. Valérien, chef des domestiques, resta parmi les morts, ainsi que le scutaire Natuspardo, soldat d'une bravoure comparable à celle des Sicinius et des Sergius. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXVII, 10)
Cependant, cette campagne laborieuse de Valentinien ne permet pas d'affaiblir durablement les Alamans. Valentinien rentre à Trèves, et, préventivement, il fortifie la rive gauche du Rhin en amont de Mayence (E. Demougeot P109)
Valens poursuit ses efforts contre les Goths, mais il ne peut passer le Danube en raison du crue qui se poursuit tout l'été. Il passe l'hiver 368 à Marcianopolis.
Année 369
Victoire de Valens contre les Wisigoths
Valens persévère dans sa guerre contre les Goths. Il passe le danube, et après de longues marches, atteint la tribu des Greuthungues. Il met en fuite Athanaric, l'un de leur plus puissant chef. Valens retraverse ensuite le Danube et passe l'hiver à Marcianopolis. Peu après, la paix est signée entre Goths et Romains lors d'une entrevue entre Athanaric et Valens sur un bateau au milieu du Danube. Valens se fait livrer des otages puis retourne à Constantinople.
Poursuite de la guerre contre les Alamans en Occident
En Occident, Valentinien doit faire face à une pénurie de troupes - en raison des campagnes de Théodose en Bretagne - pour combattre les Alamans. Valentinien a alors recours à son frère Valens qui lui envoie des renforts (15 corps de fantassins dont 10 auxiliats, et un escadron de cavalerie, les Equites Cornuti, de 369 à 371 ; renforts totalisant peut-être 10.000 soldats), mais également à la diplomatie : il tente de faire entrer en guerre les Burgondes contre les Alamans, pour prendre en tenaille ces derniers (E. Demougeot P109, P111) :
L'empereur, après une suite de plans conçus et abandonnés, s'arrêta finalement à l'idée de leur jeter sur les bras la belliqueuse race des Burgondes, dont la vaillante et inépuisable jeunesse était l'effroi de tous ses voisins. Une correspondance fut ouverte, par l'entremise d'agents discrets et sûrs, avec les rois du pays, que l'on pressait de prendre jour pour une attaque de concert. Valentinien, de son côté, promettait de passer le Rhin en personne avec une armée romaine, et de prendre à revers les Alamans, au milieu du trouble où les jetterait nécessairement cette agression imprévue. Il y avait deux motifs pour faire accueillir ces ouvertures. D'abord les Burgondes n'ont pas oublié leur origine romaine; en second lieu, ils avaient avec les Alamans des démêlés touchant la délimitation des frontières et la propriété de certaines salines. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXVIII, 5).
Années 370
Arrivée des Huns
Le sort de l'Empire en Occident commence à se jouer dans les années 370, non pas à ses frontières directes, sur le Rhin, mais en Orient. C'est là que commence à se concentrer un nouveau peuple barbare d'origine asiatique, les Huns, peuple qui sera à l'origine d'un vaste mouvement migratoire dans tout le bassin méditérranéen. Les divers peuples barbares qui cotoyaient l'Empire se retrouvent en première ligne fâce à eux. Les anciens rapports de force volent en éclas, les populations sont bousculées, l'instabilité politique devient la norme.
Sous la pression des Huns, le peuple des Goths se scinde en deux groupes. Les Ostrogoths peuplent un vaste royaume à l'est du Dniepr sur les côtes de la mer Noire (recouvrant en partie l'Ukraine et la Biélorussie actuelles), tandis que les Wisigoths occupent la région à l'ouest du Dniepr, jusqu'au Danube, à la frontière de l'Empire romain d'Orient. Ces deux parties d'un même peuple connaîtront un destin bien différent, mais se tailleront toutes deux des royaumes, en Espagne et au sud de la Gaule pour les Wisigoths, en Italie pour les Ostrogoths.
Guerre contre les Saxons et les Francs en Occident
En Bretagne, les victoires de Théodose sur les Saxons avaient rejetées ces derniers des côtes bretonnes vers les côtes gauloises, d'où ils harcèlent puis enrôlent des Francs. Les provinces maritimes de la Gaule sont alors ravagées par cette cohalition de Francs et de Saxons. Valentinien doit envoyer le maître de l'infanterie Sévère pour rétablir la situation (E. Demougeot P109-110) :
L'arrivée de ce général sur le terrain, avec des forces suffisantes, jeta l'effroi chez l'ennemi et la perturbation dans ses rangs Avant d'en venir aux mains, le coeur lui manqua à la seule vue des aigles et des enseignes romaines. Il implora le pardon et la paix. On hésita longtemps avant d'accepter la proposition, mais on reconnut enfin qu'elle était toute à notre avantage. Une trêve fut conclue; et les Saxons, après nous avoir livré, aux termes du traité, une partie notable de leur jeunesse valide, purent ostensiblement, sans obstacle, retourner là d'où ils étaient venus. Cependant, tandis qu'ils opéraient sans inquiétude leur mouvement rétrograde, un détachement d'infanterie les devança secrètement, et alla prendre, dans une étroite vallée, une position d'où l'on pouvait les accabler aisément. L'événement toutefois dérangea ce calcul. Au bruit des barbares qui s'approchaient, une partie de l'embuscade se montra trop tôt, et, troublée par les affreux hurlements que ceux-ci poussèrent alors, prit la fuite sans avoir pu se former. On parvint cependant à se rallier et à tenir ferme. Mais il fallait soutenir le choc de forces supérieures; et les nôtres eussent succombé jusqu'au dernier si leurs cris de détresse n'avaient promptement attiré sur ce point un escadron de cataphractes qui s'était posté, d'après le plan d'attaque, à l'embranchement d'un chemin, pour prendre en flanc les barbares. La mêlée devint furieuse. Mais les Romains avaient repris courage, et l'ennemi, cerné de toutes parts, fut passé au fil de l'épée, sans qu'un seul de cette multitude pût revoir le sol de sa patrie. En stricte justice, un tel acte s'appelle perfidie, déloyauté. Mais comment faire sérieusement un crime à la politique romaine d'avoir saisi l'occasion, qui s'offrait si belle, d'écraser un nid de bandits? C'était là sans doute un résultat considérable. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXVIII, 5)
Poursuite de la guerre contre les Alamans en Occident
Le danger de ces pillages des Francs et des Saxons retient cependant Valentinien à Trèves au printemps 370. Il ne peut dès lors tenir ses engagements pris avec les Burgondes l'année passée sur une opération conjointe contre les Alamans (E. Demougeot P109-110) :
Ils (les Burgondes) mirent donc sur pied l'élite de leurs forces, et, avant même qu'aucun mouvement de concentration fût sensible dans nos quartiers, le corps burgonde s'avança jusqu'au bord du Rhin, où un grand effroi se répandit à son arrivée imprévue. Là cette troupe fit halte un moment. L'empereur, alors tout entier aux soins de sa ligne de défense, n'était pas au rendez-vous, et rien n'indiquait même un commencement d'exécution de sa promesse. Les Burgondes lui envoyèrent une députation, demandant que leur retraite au moins fût protégée contre un retour offensif des Alamans. On mit à leur répondre des détours et des lenteurs qui équivalaient à un refus. Ainsi le comprirent les députés, qui se retirèrent indignés; et leurs rois, furieux d'avoir été joués, rentrèrent dans leur pays, après avoir fait massacrer tous leurs captifs. [...] Cette diversion, quoi qu'il en soit, avait produit chez les Alamans une impression de terreur dont le maître de la cavalerie, Théodose, sut habilement profiter. Il les attaqua du côté de la Rhétie, leur tua beaucoup de monde, et fit des prisonniers qui, par l'ordre de l'empereur, furent ensuite dirigés sur l'Italie, et constitués en colonie tributaire dans les fertiles campagnes arrosées par le Pô (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXVIII, 5).
Année 371
Poursuite de la guerre contre les Alamans en Occident
Négociations entre Valentinien et les Burgondes dans le but de prendre en tenailles les Alamans. Bien que la manoeuvre soit un échec, le maître de la cavalerie Théodose attaque les Alamans du côté de la Rhétie, bat ces derniers et envoie des prisonniers sur ordre de Valentinien en Italie comme colons agriculteurs.
Année 372
Poursuite de la guerre contre les Alamans en Occident
Valentinien traverse au printemps le Rhin, accompagné du magister peditum Sévère et du magister equitum Théodose, allant dévaster le territoire du roi Alaman Macrianus, mais l'indiscipline des troupes romaines fait échouer la capture du roi Alaman :
[...] avec toutes les précautions possibles pour tenir son projet secret et prévenir tout contre-temps, il jeta un pont de bateaux sur le Rhin. Sévère, qui commandait l'infanterie, s'avança jusqu'aux Aquae Mattiacae, où il s'arrêta court, effrayé de son isolement, et de la possibilité de se voir enveloppé avec si peu de forces. Il se trouvait là de ces marchands qui trafiquent de butin et d'esclaves avec les armées. Il les fit tous tuer, et s'empara de leur dépouille, de crainte que la marche ne fût ébruitée par eux. L'arrivée du reste des troupes rassura bientôt cette avant-garde. On campa à la hâte,et comme on put, pour une nuit, personne n'ayant même un cheval de bagage; et tous se passèrent de tente, excepté l'empereur, à qui l'on improvisa un couvert avec des morceaux de tapisserie. Dès le jour on reprit la marche, que Théodose fut chargé d'éclairer avec la cavalerie. Les contre-temps vinrent des soldats, que l'empereur, malgré ses défenses réitérées, ne put empêcher de piller et de brûler. Les gardes de Macrien, réveillés par les clameurs et le bruit des flammes, se doutèrent du coup de main projeté, placèrent leur roi sur un char rapide, et disparurent avec lui dans les anfractuosités des montagnes. Valentinien se vit ainsi frustré de l'honneur qu'il comptait tirer de cette entreprise; et cela, non par sa faute ou celle de ses généraux, mais par l'effet de cette indiscipline qui compromit si souvent le succès des armes romaines. Pour s'en venger, il ravagea le territoire ennemi dans une étendue de cinquante milles, et revint â Trèves la rage au coeur. Là, tout en frémissant comme un lion à qui viennent d'échapper le cerf et le chevreuil dont il croyait faire sa proie, il profita de l'épouvante sous l'influence de laquelle s'étaient dispersées les forces des barbares, pour remplacer Macrien par Fraomaire, comme roi des Bucinobantes, peuple alaman voisin de Mogontiacum. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXIX, 4).
372-373
Guerre du général Théodose en Afrique
Nubel, le plus puissant des petits souverains de Mauritanie meurt en laissant plusieurs fils. L'un d'eux, Zammac, avait la faveur du Comte Romanus, qui gouvernait alors l'Afrique. Un des frères de Zammac, Firmus, l'assassine, et s'attire la colère du Comte Romain. Devant son incapacité à se défendre en raison de la mauvaise volonté du maître des offices Rémige, parent de Romain, Firmus décide de se révolter ouvertement contre l'autorité impériale.
Théodose, maître de la cavalerie, est envoyé mater cette révolte avec un faible détachement militaire. Firmus, inquiet de part la réputation de Théodose, sollicite une trève afin de s'expliquer sur les évènements l'ayant conduits à la révolte. Théodose accepte et profite de ce délai pour rassembler les forces militaires de l'Afrique. Il refuse alors de recevoir une seconde députation de Firmus qui se présentait sans les otages convenus. Théodose commence alors ses opérations militaires en entrant en guerre contre les tribus des Tyndenses et des Massissenses, commandées par Mascizel et Dius, deux autres frères de Firmus. L'ayant emporté, Théodose détruit le domaine de Pétra, propriété de Salmaces, un autre frère de Firmus. Il s'empare ensuite de la ville de Lamfoctensis, au coeur des peuplades défaites, et y concentre son ravitaillement. Un échec d'une contre-attaque de Mascizel pousse Firmus à négocier à nouveau. Il livre des otages à Théodose et promet de libérer ses prisonniers. S'il remet la ville d'Icosium à Théodose, Firmus espère cependant prendre par surprise les troupes de Théodose.
Convaincu de la duplicité de Firmus, Théodose reprend ses opérations militaires. Il fait exécuter des soldats déserteurs qui avaient soutenus Firmus, puis lutte contre les tribus Maures des Mazices et des Musones. La soeur de Firmus, Cyria, formente alors une alliance de différentes peuplades contre Théodose, qui ne dispose que de 3500 soldats. Temporisant, il démarche les tribus voisines pour obtenir leur soutien. Perdant tout espoir, Firmus déserte son camp qui est pillé par Théodose. Traqué, Firmus se renforce d'Ethiopiens limitrophes, puis de la tribu des Isaflenses. Théodose défait ses adversaires puis combat la tribu des Iubaleni, dont était orginaire le père de Firmus.
Enfin, Théodose affronte dans une dernière bataille Firmus, qui s'en était retourné chercher du soutien chez les Isaflenses :
Le lendemain, au point du jour, les deux armées, avec des provocations réciproques, s'ébranlèrent pour en venir aux mains. Les barbares présentaient en ligne près de vingt mille hommes, et tenaient en réserve des corps masqués, avec l'intention d'envelopper les nôtres. Ils comptaient même comme auxiliaires un assez grand nombre de ces Iesaleni qui nous avaient promis leur concours. Les Romains n'avaient à leur opposer qu'une poignée d'hommes, mais qui étaient pleins du sentiment de leur force, et d'une confiance inspirée par de récentes victoires. Ils serrent leurs rangs, unissent leurs boucliers eu forme de tortue, et présentent un front inébranlable. Pendant toute la durée du combat, qui se prolongea depuis le lever du soleil jusqu'à l'entrée de la nuit, on ne cessa de voir Firmus sur un cheval de haute taille, agitant son ample manteau de pourpre, en même temps qu'il criait à nos soldats de lui livrer sans délai le tyran Théodose, cet inventeur de supplices, et de s'affranchir enfin de tous les maux qu'il les contraignait d'endurer. Ces paroles agirent diversement sur l'esprit des nôtres. Les uns n'en furent que plus animés à combattre, mais il y en eut qui lâchèrent pied; aussi, dès que la nuit eut étendu ses premières ombres sur les deux partis, Théodose en profita pour se
retirer au poste fortifié d'Auzia. Là il passa une revue de son monde, et fit périr par divers supplices les soldats qui s'étaient laissé entraîner par les exhortations de Firmus. Ceux-ci eurent les mains coupées, ceux-là furent brûlés vifs. Toute la nuit il resta sur pied. Plusieurs attaques tentées dans l'ombre par les barbares, quand la lune se fut cachée, furent repoussées avec perte, et les plus audacieux furent faits prisonniers. De là Théodose se porte rapidement, par le côté où il était le moins attendu, contre les perfides Isaflenses, dévaste et ruine leur pays [...]
La guerre alors se renouvelle avec les Isaflenses, qui, dans un premier engagement, furent très maltraités et perdirent un monde considérable. Leur roi Igmacen, jusque là toujours victorieux, s'émut devant ce désastre. Regardant autour de lui, il se vit isolé et bientôt perdu s'il persistait dans son attitude hostile. [...] Firmus, dans ce désordre, aurait trouvé moyen de s'évader, et de s'assurer peut-être une retraite inconnue au sein des montagnes, si Igmacen ne l'eût fait arrêter au moment où il allait s'enfuir. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXIX, 5)
Firmus, sachant que Igmacen le livrerai à Théodose, se suicide, ce qui met fin à la guerre.
Durant l'année 373, Valentinien ne peut monter une nouvelle campagne contre les Alamans, la guerre de Théodose en Afrique accaparant probablement, comme lors de la campagne en Bretagne, l'élite de l'armée d'Occident, sans laquelle Valentinien hésite à entrer en guerre.
Année 374
Valentinien conclu la paix avec les Alamans
Les troupes d'élites de Théodose étant toujours en Afrique, Valentinien doit renoncer à la guerre avec les Alamans. Cependant, apprenant une attaque des Quades et des Sarmates en Pannonie, il décide de faire la paix avec les Alamans pour sécuriser la frontière du Rhin en son absence :
Dans l'année suivante, qui eut pour consuls Gratien et Équitius, Valentinien, après avoir ravagé quelques cantons alamans, s'occupait à bâtir le fort de Robur près de Bâle, quand il reçut le rapport où Probus l'instruisait de la désolation de l'Illyrie. Le circonspect empereur ne se contenta pas de lire cette relation avec l'attention la plus sérieuse; il fit faire une vérification locale des faits par le notaire Paternien, qui en confirma la réalité par ses messages. Valentinien allait donc se rendre sur le théâtre des désastres, persuadé d'avoir raison, par sa seule présence, de cette audacieuse violation du territoire. Mais une difficulté se présentait: on touchait à la fin de l'automne, et tout ce qui approchait du prince le suppliait avec instance d'ajourner l'expédition jusqu'aux premiers jours du printemps. Jusqu'à cette époque, disait-on, les chemins durcis par les glaces, le manque de fourrages et de tout ce qui est indispensable à l'entretien d'une armée, s'opposaient absolument à ce qu'on se mit en marche. Et puis, quel voisinage laissé à la Gaule que les rois alamans, et Macrin surtout avec ses rancunes! Nos villes ne pourraient plus compter sur la protection de leurs murailles. Ces sages avis et les considérations qui s'y joignaient finirent par faire impression sur Valentinien. Macrin, qu'il était si important de se concilier, et qui semblait disposé à écouter des propositions, reçut une invitation caressante d'accepter un rendez-vous près de Mogontiacum. Le roi barbare acquiesça, mais d'un ton d'arrogance incroyable, en arbitre, en dispensateur de la paix. Au jour marqué on le vit se poser superbement sur l'autre rive, entouré des siens, qui faisaient un fracas effroyable de leurs boucliers. De son côté, l'empereur, monté sur des barques, avec une escorte militaire considérable, s'approcha tranquillement du bord, déployant tout l'appareil des enseignes romaines. Lorsque les barbares eurent cessé leur tumulte et pris une attitude plus calme, la conférence ne tarda pas à s'ouvrir, et se termina promptement par le serment réciproque d'observer la paix. Ce roi, jusque-là si turbulent et si hostile, sortit de cette entrevue notre allié, et jusqu'à la fin de sa vie nous donna les plus nobles témoignages d'attachement et de loyauté. Macrin périt dans la suite en pays franc, qu'il ravageait avec fureur, dans une embuscade que lui tendit leur belliqueux roi Mallobaude. Après la conclusion du traité, Valentinien alla prendre ses quartiers d'hiver à Trèves. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXX, 3)
Guerre contre les Quades en Occident
En Pannonie, la construction d'un fort militaire sur le territoire des Quades était à l'origine des troubles. Sa construction avait provoqué une réclamation officielle du Roi de ce peuple, Gabinius. Prudent, Equitius, à l'origine des travaux de fortifications les avait arrêté, provoquant la colère du préfet Maximinus, qui s'employa à faire remplacer Equitius par son fils, Marcellianus, comme Duc de Valérie. Marcellianus, contre tout bon sens politique, reprend les travaux, et pour terroriser les Quades, fait assassiner le roi Gabinius après l'avoir invité à un festin, sans doute au printemps 374. Quades et Sarmates entrent alors en guerre contre l'Empire, pillent les provinces frontalières, menacent un temps la cité de Sirmium ; une fille de l'empereur Constance II, fiancée à l'empereur Gratien, échappa de peu à un enlèvement.
On envoya contre eux deux légions, la Pannonienne et la Mésiaque, troupes excellentes, et qui indubitablement l'auraient emporté si elles eussent agi de concert. Mais pendant leur marche une dispute de préséance et de commandement mit la discorde entre elles, et elles manoeuvrèrent sans s'entendre. Les Sarmates s'en aperçoivent, et, sans même attendre le signal de leurs chefs, tombent brusquement sur la légion Mésiaque, lui tuent un grand nombre de soldats qui n'avaient pas même eu le temps de s'armer; puis, enhardis par ce succès, fondent sur la légion Pannonienne, qui est rompue par leur choc, et dont la destruction était complète si une partie de son monde n'eût trouvé son salut dans la fuite. Tandis que la fortune se montrait à nous si contraire sur ce point, Théodose le Jeune, duc de Mésie, et qui s'illustra depuis sur le trône, livrait, d'un autre côté, une suite de combats heureux aux Sarmates libres, et les repoussait de nos frontières. Il leur donna de si rudes leçons, que le plus grand nombre de ces barbares servit de pâture aux oiseaux de proie et aux bêtes féroces. Les survivants, abattus et découragés, craignirent que l'actif général ne fît une diversion sur leurs propres frontières, ou ne détruisît ce qui restait de leurs troupes, en les surprenant au milieu des vastes forêts qu'ils avaient à traverser. Tous leurs efforts pour se faire jour ayant échoué, ils renoncèrent à combattre, et implorèrent la paix et l'oubli du passé. Une trêve leur fut accordée. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXIX, 6)
Année 375
Guerre contre les Quades en Occident
Après les pillages de l'année précédante, Valentinien entre en guerre personnellement contre les Quades et les Sarmates, le traité de paix signé avec le Roi des Alamans en 374 assurant la sécurité sur le Rhin :
L'empereur, à Carnuntum, employa les mois d'été à pourvoir à l'armement et à la subsistance des troupes, attendant une occasion favorable pour fondre sur les Quades, premiers auteurs de la désolation de ces contrées. [...] Valentinien s'étant fait précéder du corps d'infanterie de Mérobaud, qu'il chargea, de concert avec Sébastien, de mettre à feu et à sang les bourgades des barbares, transporta rapidement son camp à Acincum. Là un pont de bateaux fut construit éventuellement; mais ce fut un autre point qu'on choisit pour passer sur les terres des Quades. Ceux-ci suivaient les mouvements de l'armée du haut des montagnes abruptes où l'incertitude et l'effroi les avaient fait se réfugier avec leurs familles. Grande était leur stupeur en voyant inopinément se déployer chez eux les enseignes impériales. Valentinien, par une marche rapide, surprit et égorgea, sans distinction d'âge, une partie de la population, incendia ses demeures, et revint à Acincum sans avoir perdu un seul soldat. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXX, 5)
Mort de l'empereur Valentinien I, son second fils Valentinien est proclamé empereur par l'armée conjointement à Gratien
Le 17 novembre 375, l'empereur Valentinien meurt après les opérations militaires contre les Quades et les Sarmates :
Une députation des Quades vint implorer humblement la paix et l'oubli du passé. Elle offrait, pour écarter tout obstacle, l'engagement de fournir des recrues, et d'autres conditions avantageuses à l'empire. La raison conseillait d'accueillir les députés, et de leur accorder la trêve qu'ils demandaient; car la température non plus que l'état des approvisionnements ne permettaient la continuation des hostilités. Ils furent donc, à la présentation d'Équitius, introduits devant le conseil, où ils restèrent quelque temps muets, et dans une attitude morne et intimidée. Invités à s'expliquer, ils débutèrent par la protestation banale, affirmée par serment, que c'était à l'insu des chefs de la nation que la paix avait été enfreinte, et que les excès commis sur notre territoire n'étaient que l'oeuvre de gens sans aveu, riverains du fleuve; ajoutant (ce qu'ils regardaient comme une apologie suffisante) que c'était la prétention injustifiable d'élever un fort sur leur territoire qui avait exaspéré ces féroces esprits. L'empereur, outré de colère, commençait une sortie véhémente et pleine de violents reproches sur l'ingratitude dont leur nation avait payé les bienfaits des Romains; mais tout à coup l'emportement parut se calmer, et, comme par un coup du ciel, il demeura sans pouls, sans voix, suffoqué, et le visage en feu. Bientôt le sang se fit passage, une sueur froide inonda ses membres. Ses serviteurs intimes s'empressèrent. en l'emportant, d'ôter ce spectacle à de pareils yeux. On le mit au lit, respirant à peine, mais sans qu'il eût perdu connaissance; car il désignait individuellement plusieurs personnes qui l'entouraient, et dont ses chambellans, afin d'écarter tout soupçon d'attentat, avaient eu soin de requérir l'assistance. Une congestion était imminente, et exigeait une saignée; mais on ne put d'abord trouver un médecin. Ils étaient tous occupés à combattre une maladie pestilentielle qui régnait parmi les troupes. Enfin il en vint un qui ouvrit la veine à plusieurs reprises, sans pouvoir tirer une goutte de sang; l'inflammation interne l'avait tari, ou, suivant une autre opinion, le froid avait crispé et obstrué chez le prince certains vaisseaux qu'on appelle hémorrhoïdaires. Valentinien, à ces symptômes, comprit que l'heure des dernières volontés était arrivée. Il sembla faire effort pour parler et donner des ordres, à en juger du moins par le soulèvement convulsif de sa poitrine, par le grincement de ses dents, et par le mouvement de ses bras, qu'il agitait comme lorsqu'on se bat au ceste. Mais le mal prit le dessus; son corps se couvrit de taches livides; et, après une longue agonie, il expira, ayant accompli la cinquante-cinquième année de son âge et la douzième de son règne, à trois mois près. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXX, 6)
Le 23 novembre, les hauts officiers présents lors de la mort de Valentinien I s'entendent pour désigner un empereur dans le but d'éviter un pronunciamento militaire de l'armée des Gaules, alors en opération outre-danube sous le commandement de Mérobaud et de Sébastien. Gratien étant à Trèves, et Valens à Antioche, l'absence d'un empereur localement sur une zone de conflit pouvait déboucher sur des désignations antagonistes des corps d'armées présents. Pour éviter la possible, sinon probable désignation par l'armée des Gaules du populaire Sébastien, les officiers de Valentinien et le préfet Probus désignent comme co-empereur son second fils, Valentinien II, alors âgé de 4 ans, alors présent dans les environs de Sirmium. (E. Demougeot P115)
Les Wisigoths demandent à immigrer dans l'empire
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Les Huns soumettent les Ostrogoths. Incapables de résister, les Wisigoths demandent l'asile en territoire romain à l'Empereur d'Orient Valens (364-378), après une lourde défaite contre les envahisseurs Huns.
Voici comment l'historien Ammien Marcellin, contemporain des évènements, relate les faits :
"Toute la race des Goths-Tervinges se montra donc, sous la conduite d'Alaviv, sur la rive gauche du Danube, et de là envoya une députation à Valens (Empereur de 364 à 378 en Orient) , sollicitant humblement son admission sur l'autre bord, avec promesse d'y vivre paisiblement, et de lui servir au besoin d'auxiliaire. Déjà la renommée avait fait pénétrer à l'intérieur cette effrayante nouvelle, que des convulsions insolites se manifestaient chez les peuples du Nord; que tout l'espace qui s'étend du pays des Marcomans et des Quades jusqu'aux plages du Pont-Euxin était inondé de populations barbares qui, poussées par d'autres nations, jusqu'alors inconnues, hors de leurs territoires, couvraient de leur foule vagabonde toute la rive du Danube. D'abord on n'accorda chez nous que peu d'attention à ces rumeurs, par la raison que nous ne recevons d'ordinaire avis de ces guerres lointaines que lorsqu'elles sont terminées ou assoupies. Le bruit ne laissait pas cependant de s'accréditer, et reçut bientôt une pleine confirmation par l'arrivée de l'ambassade barbare, qui venait avec instance implorer, au nom des peuples expulsés, leur admission en deçà du fleuve. La première impression de cette ouverture fut plutôt de satisfaction que d'alarme. Les courtisans employèrent toutes les formes d'adulation pour exalter le bonheur du prince, à qui la fortune amenait à l'improviste des recrues des extrémités de la terre. L'incorporation de ces étrangers dans notre armée allait la rendre invincible; et, converti en argent, le tribut que les provinces devaient en soldats viendrait accroître indéfiniment les ressources du trésor." (Ammien Marcellin, Res gestae, XXXI,4)
Année 376
Migration d'une partie des Wisigoths dans l'empire
L'empereur Valens décide l'installation des Wisigoths en Thrace. Seule une tribue de Goths, les Tervinges (les futurs Wisigoths), sous les ordres de deux chefs, Fritigern et Alaviv, reçue la permission de s'installer dans l'Empire. Les Tervinges étaient réputés être des fantassins à la guerre, et ne comptant pas de cavalerie. Les autres tribus des Goths qui demandent l'asile dans l'Empire ne sont pas acceptées.
"Jour et nuit, en vertu de la permission impériale, les Goths, entassés sur des barques, des radeaux et des troncs d'arbres creusés, étaient transportés au-delà du Danube, pour prendre possession d'un territoire en Thrace. Mais la presse était si grande, que plus d'un fut englouti par les vagues, et se noya en essayant de passer à la nage ce fleuve dangereux, dont une crue récente augmentait encore en ce moment la rapidité ordinaire. Et tout cet empressement, tout ce labeur, pour aboutir à la ruine du monde romain! Il est constant que les officiers chargés de cette fatale mission tentèrent, à plusieurs reprises, le recensement de la masse d'individus dont ils opéraient le passage, et que finalement ils durent y renoncer. [...] Alaviv et Fritigern furent transportés les premiers. L'empereur leur fit distribuer des vivres pour quelque temps, et leur assigna des terres à cultiver." (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXXI, 4)
Une des exigences du pouvoir romain, mis à part le désarmement des réfugiés, est de disposer d'un grand nombre d'otages pour maintenir les Goths dans de bonnes conditions à l'égard de l'autorité impériale. Les enfants de ce peuple sont donc envoyés en Asie mineure pour être élevés à la romaine. Valens voulait sans doute utiliser la puissance militaire des Goths pour renforcer l'armée d'orient, l'Etat romain connaissant une crise du recrutement militaire (pour plus de détails, cf la rétrospective sur l'évolution de l'armée romaine à la fin de l'année 476).
Révolte des immigrés Wisigoths
Le Comte des Thraces Lupicinus et le Duc de Mésie Maxime sont en charge de l'accueil des Goths. Pour Ammien Marcellin, Lupicinius est un commandant malencontreux, tous deux sont imprudents et brouillons. Ammien rapporte que profitant de la famine dont souffrait les Wisigoths, ils auraient vendu des carcasses de chiens aux réfugiés suppliants, au prix d'un esclave par bête. La corruption de l'administration de Valens provoque le mécontentement des réfugiés. Des observateurs romains ont décrit la misère des réfugiés et déploré leur exploitation par des fonctionnaires et généraux malhonnêtes.
Profitant de l'arrêt des patrouilles fluviales sur le danube en raison du besoin en soldats pour escorter et encadrer les Goths, au moins trois tribus qui s'étaient vu refuser l'accès à l'Empire y pénétrèrent de force : la ligue d'Alatheus et de Safrax, composée de Goths Greutunges (les futurs Ostrogoths), le groupe de Farnobius probablement composé aussi de Greutunges, et les Taifales de Valachie. Les Greutunges étaient réputés être des cavaliers, à l'inverse des Tervinges. ces deux groupes sont donc redoutablement complémentaires. Alatheus et Safrax prirent contact après la traversée avec Fritigern, les deux autres tribus se réunissant à part.
Lupicinius convie Fritigern et Alaviv à la ville de Marcianopolis (Imertje), quartier général des troupes de Thrace et capitale de la province de Basse-Moésie, pour un festin de réconciliation, après ces calamiteux débuts. Mais une fois devant la ville, et sur ordre de Lupicinius, la garnison en interdit l'accès aux suites des deux chefs Wisigoths qui avaient fait le déplacement. En dépit de leur disette, l'autorisation de se ravitailler dans la ville ne leur est pas accordée. Finalement, les esprits s'échauffent et un garde de la ville est tué par les Wisigoths. On rapporte alors ces évènements à Lupicinius, tout à son fameux festin. Abruti par l'alcool, il ordonne de massacrer en représailles les gardes accompagnant Fritigern et Alaviv. La nouvelle de ce massacre ne tarde pas à se répandre à l'extérieur de la ville, où la multitude des Wisigoths imagine ses chefs prisonniers ou morts. Fritigern, cherchant à se sortir de ce guêpier, propose alors de ramener le calme chez ses compatriotes. Se rendant alors auprès d'eux à l'extérieur de la ville, il décide de prendre la tête de ses troupes contre les impériaux, suite à tant de traîtrises.
Cette révolte prend un aspect diffu, après la traversée des autres tribues de Goths. Elle concerne donc au moins 3 bandes ou tribus : celle de Fritigern, immigrée légalement, celles de Alatheus et de Safrax, et celle de Farnobius et les Taifales, ces dernières ayant migrées sans accord avec l'autorité impériale. La complexité de la situation oblige les forces romaines à se disperser. La migration des Goths marque le début des grandes invasions. Fait nouveau, l'ennemi n'est plus aux frontières, mais dans l'Empire même, prenant les troupes de frontières à revers, bouleversant le schéma de défense classique.
Sur de vagues soupçons de traitrise contre l'empereur Gratien, le général Théodose est arrêté et décapité à Carthage.
Année 377
Révolte des Wisigoths
La révolte des Goths de Fritigern éclate ouvertement au début de l'année.
Suite à cette révolte ouverte, Lupicinius conduit quelques troupes contre les Wisigoths. La bataille est perdue par les Romains :
"Lupicinius ramassa précipitamment quelques troupes, et, sans plan arrêté, marcha contre l'ennemi, dont il attendit la rencontre à neuf milles de la cité (Marcianopolis). Les barbares, qui voient à qui ils ont affaire, tombent tout à coup sur nos bataillons, heurtant du corps les boucliers, et perçant les hommes de leurs lances. Leur choc fut si terrible, que, tribuns et soldats, presque tout y périt. Ce corps y perdit ses enseignes, mais non son général, qui ne revint à lui-même que pour fuir pendant que l'on se battait, et qui regagna la ville à toute bride. Après ce premier succès, les ennemis, couverts d'armes romaines, se répandirent de tous côtés, ne trouvant plus d'opposition nulle part.“ (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXXI, 5)
Il est intéressant de noter que les guerriers Goths ne devaient pas être estimés à un grand nombre, du moins dans la suite qui avait suivi jusqu'à Marcianopolis Fritigern et Alaviv, Lupicinius ayant décidé de marcher sans attendre contre eux. Ammien ne fait pas grand cas de cette défaite, à la différence de celle d'Andrinople en 378, ce qui indiquerait des pertes modestes, et donc un corps d'armée alors à la disposition de Lupicinius restreint d'autant.
Après ces débuts victorieux, Fritigern est rejoint par une colonie de Goths, installée en territoire romain peu avant la grande migration gothique. Installée dans la ville d'Andrinople, au nord-ouest de la Thrace, elle se rallie à la masse des goths et massacre une partie de la population de la ville. Des ouvriers ou esclaves qui exploitaient les mines d'or de la Thrace firent de même et servent de précieux guides aux Goths en territoire romain.
Révolte et désertion d'une unité romaine composée de Goths ; siège d'Andrinople
Une unité romaine cantonnée près de la ville d'Andrinople, entièrement composée de Goths Tervinges et commandée par Colias et Sueridus, deux Goths immigrés dans l'Empire avant l'année 376, se voit ordonner par l'Empereur de rejoindre l'Asie mineure, sans doute pour éviter qu'elle ne se joigne aux révoltés. Ces deux Goths avaient pourtant démontré jusqu'alors une totale neutralité par rapport à leur cousins révoltés. Colias et Sueridus demandent les frais de voyage auxquels ils avaient droit, des provisions et deux jours de délais. Mais cette demande n'est pas acceptée. Colias et Sueridus s'étaient auparavant rendu coupables de pillage dans les faubourgs, dévastant au passage les domaines du premier magistrat de la ville. Ce dernier refuse leur demande, et, probablement désireux de se venger, monte contre eux le prolétariat local des fabriques d'armements et la plèbe. Après avoir armé un grand nombre d'hommes, il ordonne aux soldats goths d'executer l'ordre impérial sans délai, les menaçant ouvertement avec ses troupes de raccroc. Le choc devient inévitable :
"Ceux-ci, d'abord étourdis d'une telle exigence, et de cette agression aussi téméraire que gratuite des habitants, restèrent quelque temps immobiles. Enfin, poussés à bout par les injures et les imprécations de cette multitude, et par quelques traits qui furent lancés contre eux, ils se mirent ouvertement en révolte, tuèrent un certain nombre de ceux que leur audace avait le plus compromis, et poursuivirent, à coups de traits, le reste dans sa fuite." (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXXI, 6)
Après s'être armés en dépouillant les morts, ces révoltés se joignent à Fritigern, puis ensemble mettent le siège devant la ville d'Andrinople, au début de l'année 377. Mais les Wisigoths, bien que renforcés par des troupes romaines régulières et par des transfuges, ne sont pas en mesure de prendre une ville fortifiée d'assaut, bien que le siège dura assez longtemps. Ils ne montreront dans leur histoire guère de succès dans la poliorcétique, l'art des sièges des places-fortes. Andrinople, pourtant défendue par de simples milices et non par des soldats réguliers, et en mesure de repousser les Wisigoths. Flèches et frondes causent des pertes lourdes aux assiègeants, qui abandonnent le siège de la ville pour le pillage des campagnes.
Les Goths, bien guidés par leurs transfuges, se répandent en Thrace, pillent à loisir, et se renforcent progressivement de leurs compatriotes, les uns achetés autrefois par les marchands d'esclaves; les autres livrés, depuis le passage, par leurs parents affamés, en échange d'un peu de nourriture. Mineurs et ouvriers rejoingnent également les Wisigoths.
Renforts Occidentaux contre les Wisigoths ; bataille des Salices
Devant la gravité de la situation, Valens, résidant à Antioche, songe à se rendre à Constantinople. Il mande le maître de la cavalerie Victor auprès des Perses pour négocier une trêve sur le front oriental, pour se consacrer au péril gothique.
L'armée d'Orient est placée sous l'autorité du maître d'infanterie Trajanus et du maître de la cavalerie Profuturus. Ammien Marcellin estime ces deux officiers pleins de présomption et sans talents militaires. Ils sont à la tête d'une partie des troupes levées en Arménie, 3.000 hommes environ, bonnes troupes toujours selon Ammien Marcellin, mais trop peu nombreuses.
L'Empereur d'Occident Gratien prête main-forte à son oncle, et mande le Duc Frigéridus, officier de valeur dans la région dès 376 avec ses légions pannoniennes et transalpines. Des unités gauloises commandées par le comte des domestiques, le Franc Richomer sont envoyées renforcer les troupes d'Orient, mais la plupart désertent et retournent en Gaule, à l'instigation du maître de l'infanterie d'occident, Mérobaude, qui redoute de voir le Rhin dégarni. Frigéridus, suite à un accès de goutte, laisse Richomer commander les renforts de l'Occident. La situation devait donc être perçue comme particulièrement grave pour que soient mobilisés les maîtres de l'infanterie et de cavalerie de l'Orient et le Comte des domestiques d'Occident, trois des plus hauts personnages militaires de l'Empire.
Avant l'arrivée des renforts de Gratien cependant, les Goths sont repoussés au delà de la chaîne des Balkans, vers la Dobroudgea (plaine fertile bordant le Danube) par les troupes d'élites de l'Orient qui bloquent ces cols, piégeant entre les Balkans et le Danube le gros des Wisigoths de Fritigern. Richomer fait alors sa jonction avec Profuturus et Trajanus près de la place forte de Saules.
Non loin de là, une multitude de Wisigoths se retranche derrière ses chariots rangés en cercle, et profite du butin pillé. Dans un premier temps, les généraux romains temporisent, escomptant qu'en raison de leurs habitudes mobiles, les Wisigoths chercheront rapidement un nouveau campement, pour tomber ensuite sur leur arrière-garde allourdie par leur butin et la tailler en pièce. Des transfuges éventent cependant le plan des Romains, et les Wisigoths rallient tous ceux pillant dans les environs en prévision de la bataille, rendue inévitable par l'entassement des Wisigoths dans leur cercle restreint de chariots. La nuit force les Wisigoths à rester au camp, employant ce temps à manger sans fermer l'oeil. Les Romains restèrent sur pied toute la nuit. Ammien Marcellin insiste sur l'infériorité numérique des Romains, ce qui leur rendait l'événement bien douteux, bien qu'ils en envisageaient intrépidement les conséquences. C'est là, à la fin de l'été ou au début de l'automne 377 que se tint cette bataille de Salices, près de la plus méridionale des embouchures du danube :
Dès que le jour parut, la trompette des deux côtés donna le signal. Aussitôt les barbares, après s'être liés entre eux par le serment d'usage, se hâtèrent de gravir les hauteurs, voulant se donner, par l'entraînement de la pente, un élan plus irrésistible. Quand nos soldats virent cette manoeuvre, chacun joignit son manipule et s'y tint ferme, sans mettre un pied hors du rang, en avant ou en arrière.
Les deux armées d'abord s'avancent avec précaution l'une contre l'autre, puis restent immobiles. Des deux côtés on se mesure d'un regard terrible. Les Romains alors élèvent à l'unisson ce cri martial connu sous le nom emprunté de barritus, lequel commence par un faible murmure, se termine en éclat de tonnerre, et dont les vibrations ont tant de puissance sur le coeur du soldat. Les barbares, pour y répondre, entonnent, avec un mélange confus de voix discordantes, un chant national à la louange de leurs ancêtres. Au milieu de ce fracas, déjà s'engagent des combats partiels.
Bientôt les lances et les traits se croisent; les deux lignes s'abordent, et, pied contre pied, s'opposent des deux côtés un mur de boucliers. Les barbares, que leur agilité multiplie, et dont les rangs se recrutent sans cesse, débutent en éclaircissant les nôtres par le jet continu de lourdes massues durcies au feu; puis, tombant l'épée à la main sur ce qui reste debout, parviennent à enfoncer notre aile gauche. Heureusement un vaillant corps d'auxiliaires, qui se trouvait à portée, accourut la soutenir, et la préserva d'une destruction entière.
Un carnage affreux s'ensuivit. Les braves trouvaient le trépas au fort de la mêlée, sous une grêle de traits, ou le tranchant du glaive. Les lâches qui fuyaient étaient pris à dos et hachés par la cavalerie. Venaient ensuite des traîneurs, tranchant à terre les jarrets à ceux que la peur empêchait de se remettre sur pied. Le sol avait disparu sous les morts et les mourants, dont quelques-uns retenaient un vain espoir de vivre; ceux-ci terrassés par les balles de plomb échappées des frondes, ceux-là percés d'outre en outre par le fer des flèches; plus d'un offrant l'affreux spectacle d'une tête partagée jusqu'au col, et retombant sur les deux épaules.
La victoire toutefois restait indécise. On donnait, on recevait la mort sans relâche, et l'acharnement ne cessait que par l'épuisement des forces. La nuit seule mit fin à cette boucherie. Ce qui restait des deux partis, se retirant en désordre, regagna tristement ses tentes.
Une sépulture telle quelle fut donnée aux plus distingués d'entre les morts. Le reste servit de pâture aux oiseaux de proie, alors trop accoutumés à de pareilles curées: les ossements blanchis qui couvrent nos campagnes en portent encore aujourd'hui témoignage. Dans cette lutte terrible, où une poignée de Romains fut aux prises avec des myriades d'ennemis, il est indubitable que nous fîmes de grandes pertes, et que l'avantage de rester maîtres du terrain fût par nous chèrement acheté. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXXI, 7)
Ammien estime cet engagement désastreux pour les troupes romaines, ce qui laisse supposer des pertes importantes chez les impériaux. La supériorité du nombre chez les Wisigoths est indiquée à plusieurs reprises, et de fait, leurs pertes bien que sans nul doute importantes, ne prennent pas un tour tragique comme pour les Romains.
Cette infériorité numérique, empêchant l'enveloppement des Wisigoths par les troupes romaines qui ont dû étirer leur front, a été contrebalancée par la position dominante des Romains, qui devaient se battre à flanc de colline, en hauteur par rapport à leurs adversaires. Cependant, il est très probable que l'incapacité des Romains à remporter la victoire tient en l'insuffisance très nette de leur cavalerie. Elle est certes citée par Ammien, mais seulement dans un rôle de poursuite des fuyards. Il s'agissait donc très probablement d'une cavalerie lègère, peu nombreuse, incapable de prendre à revers les Wisigoths. En 378 à la bataille d'Andrinople, les Romains aligneront environ 3.000 cavaliers, dont des troupes d'élites, les scholes palatines. Ces troupes escortent traditionnellement l'Empereur à la guerre; ces troupes devaient donc être alors auprès de Valens, à Antioche. Cela est d'autant dommageable pour les Romains que les Wisigoths ne semblent pas eux posséder encore de cavalerie. Des renforts adaptés en cavalerie avant la bataille auraient donnés presque certainement la victoire aux Romains et permit l'écrasement des Wisigoths de Fritigern.
Tentative de bloquer et d'affamer les Wisigoths en Mésie II et en Scythie
Après la bataille des Salices, les Romains se replient sur Marcianopolis, en fermant les cols des Balkans par des levées de terres. Tout ce qui peut ravitailler les Wisigoths dans les campagnes de Mésie II et de Scythie, bétails et récoltes, sont envoyés dans les villes fortifiées de la région, jugées comme étant imprenables. Le but est clair : laisser la faim porter un coup décisif aux Wisigoths. Cette stratégie de terre brûlée et de temporisation marque un tournant; jusqu'alors, c'est davantage la confrontation directe qui était recherchée, ce qui confirme indirectement les lourdes pertes de la bataille des Salices. Après la bataille, Richomer repart sans délai pour la Gaule pour en ramener les renforts qui font défaut à la défense de l'Orient.
Après avoir été informé des évènements, Valens envoie Saturninus avec les pouvoirs temporaires du maître de la cavalerie pour aider les peu capables Trajanus et Profuturus, peut-être en remplacement de Frigéridus, de retour en Occident.
Affamés, les Wisigoths tentent de rompre les barrières posées sur les cols des Balkans à plusieurs reprises, mais sont à chaque fois repoussés par les soldats gardant les positions. En désespoir de cause, les Wisigoths s'associent à quelques bandes d'Huns et d'Alains, leurs anciens ennemis, en le présentant la perspective du pillage de la région. Ils sont probablement alors rejoints également par Alatheus et Safrax. A la nouvelle de ces renforts de cavalerie greutunge et hunnique, Saturninus, à peine arrivé sur les lieux juge, semble-t-il raisonablement, que la position des Romains n'est pas tenable, une plus longue occupation des défilés exposant ses troupes au déferlement impossible à contenir des barbares.
Selon Ammien Marcellin, dès l'instant où Saturninus quitte les cols, la montagne vomit littéralement la multitude captive et affamée, et la plaine se remplie des Wisigoths et de leurs alliés. La Thrace, jusqu'alors hors de portée des Wisigoths efficacement contenus, est inondée. Des rives de l'Hister aux cimes du Rhodope, et jusqu'au détroit qui forme la jonction des deux mers, les Wisigoths se livrent au pillage, aux massacres et aux incendies.
Revers puis victoire impériale à la fin 377
Sur les contreforts de la mer noire, les Wisigoths surprennent à proximité de la ville de Dibaltum (Burgas) le tribun des Scutaires (unité d'élite de cavalerie lourde) Barzimérès, officier de grande expérience, commandant des Cornuts (les Cornuts sont une unité d'auxiliaires palatins, une infanterie d'élite provenant des renforts de l'Occident) et quelque autre infanterie, occupé à installer son camp sous les murs de la ville :
Ils fondent aussitôt sur cette troupe. Barzimérès n'eut que le temps de faire sonner la trompette et de ranger son monde, en tâchant d'assurer ses flancs. Sa belle résistance semblait devoir le tirer de ce mauvais pas, quand tout à coup, harassé et hors d'haleine, il se vit enveloppé par un gros de cavaliers ennemis. Il ne succomba pas toutefois sans vendre chèrement sa vie. Mais pour les barbares cette diminution de leur nombre fut à peine sensible, en raison de son immensité. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXXI, 9)
Barzimérès est encerclé par une réserve de cavalerie gothique : c'est une répétition à une moindre échelle de la future bataille d'Andrinople de 378. Les Wisigoths ont démontré leur capacité à battre même les meilleures unités de l'armée romaine, bien que cette bataille prenne la forme d'une embuscade où les Romains sont d'emblée désavantagés, et, comme à chaque bataille, en infériorité numérique.
Après leur victoire sur Barzimérès, les Wisigoths hésitent sur la direction à prendre. Frigéridius est en effet de retour en Thrace sur ordre de Gratien, avec une probable promotion au rang de Maître de la milice. Retranché près de Béroé (Stara Zagora), Frigéridus établi une ligne défensive fortifiée le long de l'importante voie impériale reliant le col de Shipka à la vallée de la Maritza. Pour éviter l'encerclement, les Wisigoths attaquant sa position sur plusieurs fronts, Frigéridius se repli vers l'ouest vers l'Illyrie. Lors de sa retraite, il surprend la bande de Farnobius, qui a quitté l'essentiel de ses Greutunges pour s'allier aux Taifales de Valachie :
L'habile Frigérid, d'aussi loin qu'il aperçut ces deux bandes dévastatrices, prit ses mesures pour les attaquer en dépit de leurs terribles menaces, et il dépendait de lui de n'en pas laisser un debout pour porter la nouvelle de leur défaite. Mais après avoir fait mordre la poussière au plus grand nombre, et notamment à leur chef Farnobe, l'un des plus redoutables fléaux du pays, il se laissa toucher par les prières de ceux qui restaient, auxquels, pour les dépayser, il assigna des terres à cultiver dans les environ de Modène, de Parme et de Rhégium.” (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXXI, 9)
Au moins une des trois tribus ayant migrées illégalement dans l'Empire suite aux désordres de la révolte de Fritigern est détruite. Ne reste donc que Fritigern et sa tribu amoindrie par la bataille des Salices, ainsi que ses récents alliés, Alatheus et Safrax dont les troupes sont intactes, peut-être rejoints par les Greutunges de Farnobius.
Bilan de la révolte gothique pour l'année 377
Cinq affrontements opposent les Romains aux Wisigoths en 377 : une première fois dans la précipitation à Marcianopolis dès le début de la révolte, sous les murs d'Andrinople entre des miliciens et une unité romaino-gothique qui change de camp, la bataille très classiques des Salices, l'embuscade contre Barzimérès, l'embuscade de Frigérid contre Farnobius.
Les Wisigoths l'emportent par trois fois, les Romains une fois seulement, et la principale bataille des Salices se solde par un résultat équilibré.
Incontestablement, les Wisigoths apparaissent comme de redoutables adversaires, qui bénéficient de la supériorité numérique lors des batailles. Pour les trois dernières batailles, le relief a joué un rôle essentiel, et les deux dernières sont des embuscades. La maîtrise du renseignement et la connaissance de la région sont donc essentielles, et les Romains bien qu'évoluant dans l'Empire n'y paraissent pas à leur avantage.
En 377, la stratégie romaine est en échec. Les généraux, par manque d'effectifs, n'ont pas été en mesure de bloquer et de vaincre par la faim les Wisigoths, et ils n'ont pas été davantage en mesure de battre leurs adversaires en bataille rangée. Néanmois, les récits détaillés d'Ammien Marcellin et la topographie complexe de la région donnent l'illustration d'une tactique militaire complexe, rigoureuse et bien orchestrée compte tenu des moyens militaires limités côté romain, ce qui donne une idée des capacités d'organisation, de logistique, de planification, et de coopération entre les deux partie de l'Empire.
La Pannonie, province située dans les balkans, semble perdue et occupée par des Huns.
Année 378
Victoire de Gratien sur les Alamans Lentiens en Occident
En Occident, les Alamans Lentiens, instruits dans les invasions des Wisigoths et sur le départ de troupes occidentales en renfort vers l'Orient, envahissent la Rhétie. En février, ils traversent le Rhin gelé, mais les unités de Pétulants et de Celtes, unités d'auxiliaires palatins très renommés pour leur valeur, les repoussent. Estimant cependant que l'essentiel de l'armée a quitté la Gaule, les Alamans mettent sur pied une armée qui aurait compté 40.000 guerriers (chiffre que les flatteurs de Gratien porteront à 70.000) et fondent sur le territoire romain :
Gratien, très ému de cette invasion, fit rétrograder les cohortes, auxquelles il avait fait prendre les devants jusqu'en Pannonie, appela même à lui la réserve que sa prudence avait laissée pour la garde des Gaules, et donna le commandement de cette armée à Nannien, officier d'une valeur froide, auquel il adjoignit, avec un pouvoir égal, le brave et belliqueux Mallobaude, comte des domestiques, et roi des Francs. Nannien, qui tenait compte de l'incertitude du sort des armes, voulait temporiser, tandis que le bouillant courage de Mallobaude s'indignait de toute précaution qui l'empêchait de joindre plus tôt l'ennemi. Tout à coup, près d'Argentaria, un bruit formidable annonce la présence des barbares. La charge sonne, et l'on en vient aux mains. D'abord une grêle de flèches et de traits tranche le fil d'un bon nombre de vies, de part et d'autre. On allait s'aborder de près, quand les Romains, voyant à quelle multitude ils avaient affaire, refusèrent le combat en ligne, et, gagnant un terrain boisé, où chacun prit individuellement position comme il put, s'y maintinrent avec courage, jusqu'au moment où la garde de l'empereur vint elle-même prendre part au combat. L'arrivée de ce beau corps, la splendide régularité de ses armes et de sa tenue, intimidèrent les barbares. Ils commencèrent à tourner le dos, faisant face de temps à autre, seulement pour résister jusqu'au bout. En résultat, ils furent si maltraités, que du nombre formidable que nous avons signalé il ne s'en échappa, dit-on, que cinq mille, dont l'épaisseur des forêts protégea la fuite. Leur roi Priarius, promoteur le plus ardent de cette expédition meurtrière, y périt avec la fleur de ses guerriers.
L'armée, après ce glorieux exploit, reprenait sa marche vers l'Orient; mais, tournant tout à coup vers la gauche, elle franchit le fleuve à la dérobée. Gratien, encouragé par ce premier succès, avait résolu de porter le dernier coup, s'il était possible, à cette nation turbulente et sans foi. Déjà presque exterminés par ses armes, les Lentiens, recevant coup sur coup avis de sa soudaine arrivée, furent jetés dans un trouble extrême. Le temps leur manquait pour organiser une défense quelconque et pour discuter aucun plan. Ils ne purent que gagner précipitamment, par des chemins praticables pour eux seuls, des hauteurs abruptes et inaccessibles, et de là se battre en désespérés pour sauver le reste de leurs biens et de leurs familles. De notre côté, après avoir bien observé la position, on choisit, pour donner l'assaut à cette espèce de rempart, les cinq cents soldats les plus aguerris de chaque légion. Cette troupe d'élite, fière de la distinction dont on l'honorait, et animée par la présence de son prince, qui se plaça résolument au premier rang, fit les plus grands efforts pour gravir les cimes, sachant bien qu'une fois qu'on les aurait couronnées, tout ce qu'elles recelaient était pris sans coup férir. Cependant, commencé à midi, le combat durait encore au milieu des ténèbres, avec grande effusion de sang de part et d'autre. On tuait, on était tué. La garde de l'empereur surtout, que l'éclat de ses couleurs et l'or de ses armures rendaient en quelque sorte un point de mire, avait beaucoup à souffrir des projectiles de l'ennemi, et des masses qu'il faisait rouler des hauteurs. Finalement Gratien et ses grands officiers avec lui commencèrent à penser qu'il y avait folie à s'acharner sans espoir contre une position, de sa nature, inexpugnable. Les avis se croisèrent, comme il arrive en pareille circonstance. Mais on convint enfin de s'en tenir à un blocus, et de prendre par la famine les barbares, si bien défendus par la force des lieux. Ceux-ci, dont l'obstination n'était pas moindre que la nôtre, et qui connaissaient mieux le terrain, allèrent occuper des pics plus élevés encore. Mais l'empereur saisit aussitôt ce moment pour reprendre l'offensive, et mit tout en oeuvre pour se frayer accès jusqu'à eux. Cette fois les Lentiens, convaincus que leur perte était jurée, implorèrent la grâce d'être reçus à capituler; et après avoir livré, comme on l'exigea, l'élite de leur jeunesse, qui vint se fondre avec nos nouvelles levées, ils obtinrent la liberté de retourner chez eux. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXXI, 10)
Ce succès majeur pour l'Occident - car l'Empire sécurise dans de pareilles manoeuvres en avant sur le territoire ennemi ses frontières en se faisant craindre - retarde Gratien dans son projet de porter assistance à son oncle Valens, qui ne disposera pas des renforts militaires de l'Occident pour la grande bataille contre les Wisigoths de l'année 378.
Valens quitte Antioche pour la guerre en Thrace ; escarmouches diverses
Frigéridus fortifie le col de Succi/Sucques, séparant Serdica (Sofia) de Philippopolis. Frontière entre les deux parties de l'Empire, la fortification de ce col rend impossible le passage de bandes de pillards en Occident. Frigéridus est cependant remplacé pour la défense de ce point-clé par un incompétent, le Comte Maurus, féroce, vénal, et le plus indécis de tous les hommes pour Ammien Marcellin.
Valens remplace Trajanus dans l'armée d'orient en raison de son incompétence par Sébastianus, officier d'Occident de grande valeur, au poste de commandant de l'infanterie. Ce dernier remplacement déplaît à la population de Constantinople.
Fin mai, Valens arrive à Constantinople avec le gros de l'armée. Il marche du 30 mai au 11 juin sur l'armée Wisigothique.
Arrivé à la ville de Niké, à 25 km au sud-est d'Andrinople, Valens apprend par ses éclaireurs que les Wisigoths, chargés de butin, avaient évacué la région du Rhodope, et se dirigent vers l'est, sur Andrinople. Apprenant que Valens lui aussi se dirige de ce côté, les Wisigoths se joignent à des compatriotes qui s'était fortement retranché dans les environs de Nicopolis et de Béroé.
Valens confie au maître général de l'infanterie Sébastianus un détachement de 2000 hommes d'élite. Début juin, Sébastianus commence des opérations dans la région de Niké. Les Goths sont repérés aux environs du mont Rhodope. Sébastianus se rend à Andrinople, où la population lui ferme les portes de la ville dans un premier temps, craignant un subterfuge des Wisigoths. Aux environs de Béroéa (Stara Zagora), près de la rivière Hebrus (Maritza de nos jours) en Thrace, il surprend avec son détachement de 2000 hommes une partie des Goths qui avaient pillés la provinde de Rhodope dans le sud de la Thrace, à l'ouest d'Andrinople :
Il s'avance alors pas à pas, profitant pour se couvrir de chaque buisson, de chaque mouvement du terrain; et quand il juge la nuit assez noire, il fond sur les Goths sans leur laisser le temps de se rallier. Le carnage fut si grand, qu'il n'en échappa que le petit nombre qui put courir assez vite; et le butin qu'on leur reprit fut si considérable, que la ville ni la campagne environnante ne suffisaient à le contenir. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXXI, 11)
Craignant de se retrouver isolés, les détachements Goths occupant sur la route du col Shipka les positions abandonnées par Frigéridus font retraite. Fritigern lance un ordre de rappel à ses troupes, pour éviter que les multiples groupes isolés occupés à piller ne subissent les attaques de Sébastianus. Fritigern cherche à concentrer ses troupes dans la ville de Cabyle (Jambol), important carrefour situé sur la boucle de la rivière Tundja/Tundscha, près de l'actuelle Yambol et qui commande les routes de Beroae à la mer noire et de Novae (sur le Danube) à Andrinople.
Les préparatifs de la bataille d'Andrinople
Gratien informe son oncle de sa victoire sur les Alamans Lentiens, tout en se rendant à marche forcée, et en dépit d'une fièvre intermittente, en direction des Balkans. Les victoires de Gratien, jeune empereur à peine adulte, et celle de Sébastianus, général de l'Occident suscitent la jalousie de Valens, qui n'a pas brillé depuis 364 par ses capacités militaires. Selon Ammien Marcellin, il n'avait aucune notion de littérature ou d'art militaire dans son éducation.
Les Wisigoths, qui cherchent à intercepter les communications avec les points de ravitaillement de l'armée de Valens sont mis en échec par des archers à pied soutenus par de la cavalerie qui occupent les défilés. Ammien Marcellin note qu'à cette occasion, les éclaireurs furent cette fois efficaces, sous-entendant que cela ne fut pas toujours le cas, comme le montrera la bataille d'Andrinople.
A la mi-juillet, Gratien était arrivé à Castra Martis, dans le nord-ouest de la Bulagrie, prêt à porter assistance à son oncle. L'approche des Wisigoths est finalement signalée dans la direction de la ville de Niké. Ils sont évalués à 10.000 par les éclaireurs. Valens, conforté par cette estimation, décide de marcher jusqu'à Andrinople. Il campe dans les faubourgs de la ville et y attend Gratien. En réalité, seule une partie des Goths a été recensé par les éclaireurs, et l'essentiel de la cavalerie Gretunge n'a pas été localisé. Le général Trajanus est rappelé au commandement de l'armée.
Le 7 août, Richomer, parti au devant des troupes de l'Occident, apporte un message de Gratien à son oncle, lui demandant d'attendre sa prochaine arrivée pour attaquer les Goths et le conjurant de ne pas s'exposer seul aux dangers. Un détachement de la cavalerie Greutunge surtout composé d'Alains, et qu'attendait en renfort Fritigern, avait attaqué les troupes de Gratien à Castra Martis, leur infligeant quelques pertes. L'apparition et la disparition de ces troupes démontrait que le renseignement romain n'était pas parfait en raison de la géographie complexe de la région. Le conseil de Valens se divise sur la question : quelques membres, appuyés par Sébastianus, souhaitent livrer bataille seuls, le plus grand nombre cependant, emmené par Victor, un Sarmate promu au rang de maître de la cavalerie, est d'avis d'attendre Gratien et ses renforts.
Malgré la demande de Richomer, Valens décide de mener la bataille seul, sans doute afin de rehausser son prestige. Empereur depuis 14 ans, il fait pâle figure en comparaison de l'ancienne gloire de son frère décédé et de Gratien, jeune mais déjà brillant vainqueur des Alamans Lentiens. Sebastianus l'emporte au conseil de guerre sur Victor.
Le 8 août, Fritigern envoie un prêtre et d'autres négociateurs de faible rang à Valens pour exiger la Thrace entière, bétails et récoltes compris, à titre de territoire fédéré. Dans une lettre secrète, il se présente comme un ami et un allié de l'Empire. Au lieu d'un statut de colons, dispersés et recrutables à loisir dans l'armée par l'Empereur comme cela était prévu originellement, les Goths cherchent ainsi à vivre regroupés selon leur organisation tribale, future puissance installée dans l'Empire, aux portes de Constantinople, source de pouvoir, d'influence et de hautes carrières pour l'aristocratie des Goths.
L'entrevue échoue. Fritigern tente à deux reprises de prendre contact avec Valens avant la bataille du lendemain, probablement pour gagner du temps et permettre à la cavalerie Greutunge d'arriver à temps pour la bataille.
L'armée romaine se compose d'environ 10.000 soldats, 7.000 fantassins pour 3.000 cavaliers. On connait certaines de ces unités : les scutaires-archers (archers montés à cheval), les Gens d'armes (gardes du corps de l'empereur) sont deux unités de scholes palatines, l'élite de l'armée de l'époque. Les Lanciers et les Mattiaires sont répertoriés comme des troupes d'élite : légions palatines ou comitatenses. La réserve de Batave est probablement une vexillation palatine. Le reste de l'armée n'est pas clairement identifiée : cavalerie légère sarrasine (inadaptée au bataille rangée), troupes arméniennes et renfort gaulois de l'année 377... Richomer, Saturninus, Victor, Trajanus, et Sébastianus sont les généraux de cette armée. Tous, à l'exception de Trajanus, ont fait la preuve de leurs compétences.
Ceci indique que, même si l'armée rassemblée n'est pas nombreuse, elle regroupe du moins des troupes de grandes qualités, commandées par un état-major de qualité. Ammien Marcellin estime l'armée de Valens nombreuse, composée de nombreux vétérans rappelés en service.
La bataille d'Andrinople
Le 9 août, l'armée quitte Andrinople en y laissant les vivres, les insignes impériaux et le trésor impérial, sous la garde de plusieurs légions (en raison d'une moyenne de 1.000 soldats par légion, la garnison est importante). Le préfet et les membres civils du conseil restent également à Andrinople.
L'armée doit parcourir sous une châleur torride de 18 à 22 kilomètres avant de parvenir vers midi à proximité des Goths, qui avaient mis le feu à l'herbe pour rendre la température intolérable. L'avant-garde romaine se rend alors compte que les Goths sont bien plus nombreux que prévus. L'armée romaine se met en ordre de combat sans prendre de repos. Fritigern gagne du temps en lançant des négociations, dans un premier temps avec des négociateurs de peu de valeur, repoussés par Valens, qui demande des négociateurs d'un rang élevé. Tout cela fait gagner du temps aux Wisigoths et permet à la cavalerie Greutunge d'arriver et de se placer pour la bataille.
Finalement, Fritigern demande un otage romain de haut rang pour négocier. Dans un premier temps, le choix se porte sur le tribun Equitius, parent de l'empereur investi de la charge de garde du palais. Au motif qu'il avait déjà été l'otage des Wisigoths dans le passé et qu'il s'était échappé à Dibaltum, il refuse cette responsabilité. Richomer consent à se rendre dans le cercle des chariots Goths.
Cependant, exaspérées par la châleur, la fatigue et ces nouvelles tractations, deux unités, commandées par Bacurius l'Hibère (Géorgien) et par Cassio débutent la bataille sans en avoir reçu l'ordre et précipitent le cours des évènements :
Mais avant qu'il (Richomer) eût atteint le camp ennemi, nos archers, commandés par l'Ibérien Bacurius et par Cassio, étaient déjà aux prises avec l'ennemi; et leur retraite, aussi précipitée que leur attaque avait été inopportune, marquait défavorablement le début de la campagne. Cette échauffourée rendit sans effet le dévouement de Richomer, qui ne put pénétrer plus loin; et au même instant la cavalerie des Goths, Alathée et Safrax en tête, et renforcée par un corps d'Alains, arriva comme la foudre qui éclate de la cime des monts, renversant tout sur son passage.
Des deux côtés on n'entendit bientôt que le cliquetis d'armes qui se choquent, et le sifflement de traits qui se croisent. Bellone elle-même enflait le retentissement lugubre des clairons, acharnée plus que jamais à l'anéantissement du nom romain. De notre côté déjà l'on commençait à plier; aux cris de ralliement, ce mouvement s'arrête, et le combat, comme un vaste incendie, redouble de fureur; mais aux vides affreux que causent dans les rangs les dards et les flèches de l'ennemi l'effroi glace de nouveau les nôtres. On voyait les deux lignes se heurter comme des proues de navires, et leur agitation était pareille à celle des vagues.
Cependant notre aile gauche avait percé jusqu'aux chariots, et sans doute aurait pénétré plus loin si on l'eût soutenue; mais, abandonnée par le reste de la cavalerie, elle fut accablée, comme sous un énorme éboulement de terre, par la masse de barbares qui se rua sur elle. L'infanterie alors se trouva dégarnie, et tellement serrée manipule contre manipule, qu'il n'y avait pas jour à pousser ni ramener l'épée. L'air retentissait en ce moment d'horribles clameurs, et d'épais tourbillons de poussière, dérobant l'aspect du ciel, empêchaient d'éviter les traits dont chacun portait avec lui la mort. Impossible d'espacer assez les rangs pour faire retraite en bon ordre; la presse était même trop grande pour que l'on pût fuir individuellement. Les légionnaires alors, serrant la poignée de leurs glaives, frappèrent en désespérés surtout ce qui se trouvait devant eux. Les casques et les cuirasses des deux côtés se brisaient sous le tranchant des haches. Çà et là quelque barbare à la taille gigantesque, terrassé par le fer qui lui avait tranché les jarrets, abattu le bras ou percé le flanc, contractait ses joues pour pousser un dernier cri de fureur, et, déjà en proie à la mort, menaçait encore du regard. Le sol disparaissait sous les combattants qui tombaient des deux parts, et l'on ne pouvait sans frémir entendre les cris douloureux des mourants ni soutenir la vue de leurs atroces blessures.
Au milieu de cette confusion horrible, nos soldats, épuisés de fatigue et à qui il ne restait plus ni sang-froid pour se diriger ni force pour agir, désarmés, pour la plupart, de leurs lances, qui s'étaient brisées entre leurs mains, pour dernière ressource se lançaient l'épée au poing, et au mépris de tout danger, au milieu des groupes les plus serrés des barbares, et, dans un dernier effort pour vendre chèrement leur vie, glissant sur le sol détrempé de carnage, périssaient quelquefois par leurs propres armes. Partout ruisselait le sang, et la mort s'offrait sous toutes les formes; on ne marchait que sur des cadavres. Ajoutez que le soleil, qui avait quitté le signe du Lion pour entrer dans celui de la Vierge, dardait ses feux d'aplomb, et nuisait surtout aux Romains, déjà travaillés par la faim, la soif, et accablés du poids de leur armure.
Tout à fait rompus par les masses ennemies, ils furent enfin réduits au parti extrême de fuir en désordre, et chacun de son côté. Pendant cette dispersion d'une partie de l'armée, l'empereur, dans le dernier trouble d'esprit, et sautant par-dessus des monceaux de morts, parvint à se réfugier dans les rangs des Lanciers et des Mattiaires, qui avaient jusque-là soutenu, sans en être ébranlés, le choc furieux des barbares. À sa vue, Trajan s'écria que tout était perdu si le prince, déserté par ses écuyers, ne trouvait pas du moins protection parmi ses auxiliaires. Le comte Victor, qui l'entendit, courut aussitôt rassembler les Bataves, que Valens avait placés en réserve derrière sa garde; mais, n'y trouvant. pas un seul homme, il ne songea plus qu'à se tirer du danger lui-même. Richomer et Saturnin en firent autant.
Cependant les barbares, l'oeil en feu, revinrent assaillir ce reste de notre armée. Affaiblis par le sang qu'ils avaient perdu, les uns tombaient sans savoir d'où partait le coup, d'autres renversés par le seul choc de l'ennemi, quelques-uns percés par leurs propres camarades. Il n'y avait ni relâche pour qui résistait, ni quartier pour qui eût voulu se rendre. Les chemins étaient remplis de mourants, succombant de la seule douleur de leurs blessures; et les cadavres des chevaux en complétaient l'encombrement. L'obscurité de la nuit, qui se trouvait être sans lune, mit seule un terme à ce désastre irréparable, et dont les conséquences pèseront longtemps sur les destins de l'empire. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXXI, 12-13)
Valens trouve la mort, soit d'une flèche, soit dans l'incendie d'une maison de paysan proche du champ de bataille où il se serait réfugié après avoir reçu une blessure. L'armée d'Orient est saignée (6.000 à 8.000 morts), et toutes les provinces européennes de l'Orient sont désormais ouvertes aux Wisigoths.
Deux maîtres généraux de la cavalerie et de l'infanterie, Sébastianus et Trajanus sont tués.
Deux grands officiers du palais, Valérien qui assurait le poste de grand ecuyer, et Équitius, le parent de Valens, gouverneur du palais meurent dans la bataille.
35 tribuns sont tués, dont Protentius, Tribun des Promus et fils d'Ursicin, grand général romain des années 350, sous les ordres duquel servit Ammien Marcellin.
Richomer et Victor eux s'en sortent vivant.
Les pertes en soldats d'Andrinople sont faibles comparées à celles de la bataille de Canae (50.000 à 70.000 tués) perdue en -216 contre les Carthaginois commandés par Hannibal, mais l'Empire faisait fâce au problème de recrutement. On manquait déjà de soldats. Plus grave, les cadres de l'armée orientale sont tués.
En fait, l'Orient disposait sans doute des troupes suffisantes pour mater les Goths, mais depuis la paix de Jovien en 364, où Rome cèda ses places fortes en Mésopotamie, les Perses Sassanides pouvaient se montrer très dangereux. Il n'était donc pas question de dégarnir le limes oriental en troupes. Ceci explique les faibles effectifs mobilisés pour Andrinople (10.000 soldats) en comparaison de l'expédition perse de Julien en 363 (de 60.000 à 100.000 soldats).
Siège d'Andrinople par les Wisigoths le lendemain de la bataille
Dès le lendemain, le 10 août, informés par des prisonniers et des transfuges sur la présence du trésor impérial dans la ville, les Goths assiègent Andrinople :
Un grand nombre de soldats et de valets de l'armée, menant avec eux des chevaux, n'avaient pu obtenir l'entrée dans la ville. Cette troupe, s'adossant aux fortifications et aux maisons contiguës, s'y défendit énergiquement, malgré le désavantage du lieu, et soutint jusqu'à la neuvième heure toute la rage des assaillants. Trois cents fantassins de ce nombre, qui essayèrent de se rendre en corps aux barbares, furent entourés et massacrés; on ne sait par quel motif: mais on remarqua qu'il n'y eut plus dès lors aucune tentative de désertion, à quelque extrémité qu'on se trouvât réduit. Enfin le ciel, après tant de malheurs, nous envoya une pluie qui, tombant par torrents, accompagnée d'éclats de tonnerre, dispersa cette multitude qui frémissait autour des murailles, et la força de chercher l'abri circulaire de ses chariots. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXXI, 15)
Repoussés une première fois, les Wisigoths ne renoncent cependant pas à prendre la ville. Alors que les soldats de l'armée régulière, renforcés par les habitants d'Andrinople, consolident les défenses de la ville, les Wisigoths tentent de prendre la ville par un stratagème. Des Gardes blancs, très probablement des Candidats, avaient désertés après la défaite. Ces Candidats sont en quelque sorte des pages impériaux, attachés à la personne de l'Empereur. Certains suivent Valens jusque dans la mort selon l'une des deux hypothèses qu'Ammien Marcellin rapporte de la mort de cet Empereur, alors que le reste de l'armée, même les troupes d'élites des scholes palatines, déserte le champ de bataille. Des Candidats déserteurs proposent donc aux Wisigoths de rentrer dans la ville, de déclencher des incendies, qui seraient le signal pour lancer un assaut massif contre les défenses de la ville. Les défenseurs, occupés par l'incendie, dégarniraient les murailles qui seraient prises.
Le 11 août, des Gardes blancs se présentent devant la ville, se présentent comme échappés du camp des Wisigoths et supplient qu'on leur ouvre les portes de la ville. Mais ils tergiversent dans leurs réponses lorsqu'ils sont questionnés sur les plans des Wisigoths. Soupçonnés de trahison, ils avouent sous la torture leurs plans. L'échec de ce stratagème ne décourage cependant pas les Wisigoths, qui lancent un nouvel assaut contre la ville :
Cependant les barbares, remis de leur premier effroi, vinrent, réunissant leurs moyens d'attaque, de nouveau se ruer contre les portes inexpugnables de la ville, Les chefs étaient les plus acharnés; mais les habitants, et jusqu'aux gens de service du palais, se joignirent à la garnison pour les écraser. Au milieu d'une telle multitude, avec ou sans destination, aucun coup n'était perdu. On s'aperçut que les barbares nous renvoyaient les traits que nous avions lancés contre eux. Aussitôt l'ordre fut donné de couper, avant de se servir des flèches, le cordeau qui en assujettit le fer au bois; ce qui fit que, sans perdre de leur force de jet ni de l'effet de leur atteinte, elles se démontaient chaque fois que le coup tombait à faux. Une circonstance inopinée fut sur le point de mettre fin au combat. Une pierre énorme, partie d'un scorpion (l'un de ces engins vulgairement appelés onagres), lequel était placé en batterie vis-à-vis d'un épais groupe d'ennemis, se brisa en tombant à terre, et, bien que personne n'en fût atteint, causa tant de stupeur aux barbares, qu'il n'y en eut pas un, de ceux qui étaient présents, qui ne fît mine de s'enfuir: mais les chefs firent sonner la charge, et l'assaut continua. Les Romains conservèrent cependant leur avantage. Presque aucun de leurs projectiles, trait ou balle de fronde, n'était lancé en vain: car si, brillant de l'espoir de mettre la main sur les trésors mal acquis de Valens, les chefs des Goths donnaient l'exemple en s'exposant en première ligne, l'émulation de leurs soldats n'était guère en reste de partager leurs dangers. Les uns expiraient percés par les traits d'outre en outre, ou écrasés par le terrible effet des machines; les autres, porteurs d'échelles, ou s'efforçant de les appuyer et de gravir les remparts, étaient précipités par les quartiers de rocs, les fragments, les tronçons entiers de colonnes, dont on les accablait d'en haut. Mais la mort avait beau se montrer aux assaillants sous toutes les formes, il fallut que le jour finît pour mettre un terme à leur exaltation furieuse, soutenue, comme elle l'était, par la vue du mal considérable qu'ils causaient eux-mêmes aux assiégés. En dedans comme au dehors des murs, on luttait d'acharnement et d'énergie; mais les Goths, qui n'agissaient que par groupes désordonnés, sans direction ni ensemble, et comme en désespoir de cause, quand la nuit fut tout à fait venue rentrèrent tristement sous leurs tentes, se renvoyant de l'un à l'autre le reproche de démence et d'aveuglement, pour n'avoir pas su mettre à profit le conseil que leur avait donné Fritigern, de ne pas s'exposer aux chances périlleuses des sièges. (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXXI, 15)
Incapacités des Wisigoths à s'emparer des villes
Suite à cet échec, les Wisigoths hésitent sur la route à prendre. Ils décident de s'emparer de la ville de Périnthe, puis de toutes les villes où des richesses sont entreposées. Renforcés par des Huns et des Alains, ils campent devant Périnthe, mais n'osent pas mettre le siège devant la ville. Ils se contentent de piller les environs. La ville de Philippopolis (Plovdiv) résiste elle aussi aux Wisigoths.
Bien qu'incapables de prendre des villes fortifiées de petites tailles, les Wisigoths montent une expédition d'emblée vouée à l'échec : assiéger Constantinople, la capitale de l'Orient. Devant les murailles considérables de la ville, et harcelés par une troupe de Sarrasins recrutée peu avant, les Wisigoths abandonnent la partie et repartent vers l'Illyrie et la Pannonie.
La seule victoire des Goths est celle de Nikopolis (Stari Nikub) dont la garnison refuse le combat. Partout ailleurs, de simples milices locales défendent avec succès leurs villes fortifiées.
Non seulement les Goths étaient incapables d'exploiter leur victoire et de s'installer durablement sur le territoire impérial, mais de plus, avec la défaite de l'armée romaine, la pression militaire s'était considérablement allégée sur les révoltés. Fritigern ne fut pas capable de maintenir la coalition entre les différentes tribus qui avait prévalu depuis 377. Des bandes de pillards écument à nouveau les campagnes, faisant fit de l'alliance des Goths.
Cependant, la bataille d'Andrinople marque une ethnogénèse des Goths, donnant naissance aux Wisigoths tels qu'ils seront connus ultérieurement : des cavaliers dont le modèle est celui des Greutunges victorieux, qui remportèrent la bataille contre les Romains. Jusqu'alors, il s'agissait principalement de fantassins Tervinges.
Devant le désastre public frappant l'Orient, Julius, maître général des troupes d'Orient, décide avec le consentement du sénat de Constantinople, mais en l'absence d'un Empereur, de mettre à mort les Wisigoths d'Asie Mineure présents dans les garnisons pour éviter les désertions dans ces corps comme cela était arrivé en 377 dans l'unité commandée par Colias et Sueridus. Cette mesure, pourtant autorisée par le sénat de Constantinople, coûte sa place au général trop pressé.
Promotion de Théodose
L'empereur Gratien rappele aux affaires Théodose, le fils du général Théodose dit l'Ancien qui avait maté une révolte en Afrique en 372-373. Théodose s'était retiré en Espagne après la mort de son père, décapité à Carthage, car jugé trop ambitieux. Réconcilié avec Gratien et promu au grade de maître de la milice en Illyrie, il rejoint la région frontalière de haute-Mésie et de Dacie. Avant la fin de l'année, il bat des Sarmates de la Tisza qui avaient pénétré dans l'Empire.
L'hiver venu, les Alamans sont combattus à la bataille d'Horburg par l'Empereur d'Occident Gratien.
Année 379
Théodose est fait empereur en remplacement de Valens ; guerrilla contre les Wisigoths
Le 19 janvier, Gratien nomme Théodose Empereur d'Orient dans la ville de Sirmium (Sremska Mtrovica). Dès le printemps suivant, Théodose entre à Thessalonique sans encombre, la peste ayant chassée les Goths de la Macédoine. Il recrute une nouvelle armée en urgence, en enrôlant paysans, mineurs, fédérés d'Asie et d'Afrique, ainsi que des Goths. Le nombre de ces derniers enrôlés fut si grand que la discipline en souffrit. Les soldats romains s'en prennent aux fédérés Goths qui brutalisent les civils. Les éléments barbares d'origine gothique se montrent de moins en moins disciplinés. Théodose tente de régler le problème en échangeant des troupes gothiques contre des troupes égyptiennes.
Théodose reproduit la tactique de Rome après la lourde défaite de Cannae face à Hannibal au cours de la seconde guerre punique. Il temporise et mène une guérilla contre les Goths, tout en évitant soigneusement toute grande bataille rangée. Théodose ne peut en effet se permettre une nouvelle défaite d'envergure.
Le recrutement de Modares (Modaharius), un prince Goth se révêle précieux pour l'Empire. Il détruit pour le compte de Théodose une importante colonne de pillards Goths. Peu après les Goths se retrouvent à nouveau confinés entre les Balkans et le Danube, où la famine se fait sentir.
Le 17 novembre 379, les victoires remportées sur les Goths sont proclamées à Constantinople. Alatheus et de Safrax ont eux-même probablement connus des revers. Ces revers redonnent de l'autorité à Fritigern, Alatheus et Safrax sur leurs tribues. Ils préparent des campagnes séparées.
Années 380-
Germanisation de la défense des frontières en Occident
De petits contingents de fédérés barbares Germains, Goths, Alains, Huns, Sarmates, remplacent progressivement les Limitanei en Occident. Ces barbares servent par bandes dispersées dans le nord-est de la Gaule et occupent les fortifications qui contrôlent les carrefours, les franchissements de rivières, les estuaires. L'évolution des gardes frontières montrent qu'en un siècle, le limes occidental s'est dilué dans une "société des confins romano-barbares". De fait, l'Empire, qui doit faire face à un grave problème de recrutement militaire, ne peut que se tourner vers les peuples barbares installés à ses frontières.
Les fédérés étaient des peuples, d'origine germanique le plus souvent, autorisés à s'installer en territoire romain. Liés avec Rome par un contrat, ces peuples conservent leurs coutumes, leur organisation sociale et politique. En échange, ils doivent fournir des recrues à l'armée et cultiver les terres désignées. L'utilisation de fédérés remonte à l'époque de Marc-Aurèle, et devient sans cesse croissante.
380-394
Intolérance religieuse de l'empereur Théodose
Au cours de son règne de 16 ans, l'Empereur Théodose publie au moins 15 édits de persécutions contre les hérétiques, essentiellement des Ariens, et contre les Paiens. La législation démontre son caractère brutal à l'encontre de tout non-catholique. De nombreuses émeutes s'en suivront, particulièrement en Egypte, lors de la destruction des temples antiques. La société impériale apparait comme désunie alors que se produisent les invasions de peuples germains.
Année 380
Le catholicisme devient religion d'Etat
Théodose se fait baptiser chrétien catholique. Ses deux prédécesseurs chrétiens (Constance II 337-360 et Valens 364-378) étaient eux Ariens, donc hérétiques pour les catholiques. Il promulgue le 27 février l'édit de Thessalonique qui fait du christianisme la religion d'état de l'Empire Romain :
Nous voulons que tous les peuples sous notre autorité vivent dans la foi que le saint apôtre Pierre a transmise aux Romains. Nous décrétons que seuls auront le droit de se dire chrétiens catholiques ceux qui se soumettent à cette loi et que tous les autres sont des fous et des insensés sur qui pèsera la honte de l'hérésie. Ils devront s'attendre à être l'objet d'abord de la vengeance divine, à être ensuite châtiés par nous, décision que nous inspirée le ciel.
(Codex Theodosianus 16.1.2.1)
Gratien installe une partie des Goths révoltés comme fédérés en Occident
Gratien traite avec une partie des Goths. Soucieux de préserver l'acquis des victoires remportées de justesse en 379, et après avoir consulté Théodose, il décide de faire des Greutunges et de leurs alliés Huns des fédérés et de les installer dans la province de Pannonie II, et probablement en Savie et en Valérie.
Revers des Wisigoths, entrée de Théodose à Constantinople
Fritigern rassemble lui ses guerriers, et prend le chemin de la Macédoine. Au printemps il manque de capturer Théodose. Fritigern pille la région, et se rend même jusqu'en Thessalie. Théodose demande l'aide de Gratien, qui lui envoie une puissante force commandée par deux généraux Francs, Bauto et Arbogast. Les deux généraux, après avoir fait leur jonction avec les troupes de l'orient, repoussent les Goths jusqu'en basse-Mésie, d'où ils étaient parti.
Le 24 novembre, Théodose fait une entrée triomphale à Constantinople, accompagé d'Athanaric. Ce roi Goths avait été l'ennemi acharné de Valens lors de guerre romano-gothique dans les années 360. Refusant de traverser le Danube avec son peuple en 376, il contemple de loin les évènements qui allaient mener à Andrinople. Il fut par la suite probablement victime d'un complot ourdi par Fritigern, qui cherchait alors peut-être à assurer ses arrières, ou peut-être craignait-il que comme Modares, Athanaric ne finisse par proposer ses services aux Romains.
Année 381
Mort du roi Goth Athanaric
Le 25 janvier, Athanaric meurt à Constantinople sans doute après un banquet. Bien reçu par Théodose, ses magnifiques obsèques à Constantinople eurent un impact positif sur les Goths, ce qui favorisa certainement la conclusion de la paix entre les impériaux et les Goths en 382. Cependant, dans l'immédiat, les Goths continuent leurs pillages et la guerre perdure en Thrace.
Les empereurs Gratien, Valentinien II et Théodose prohibent conjointement les sacrifices divinatoires.
381-382
Pillage des Huns sur le danube
Les Ostrogoths, liés par un pacte de sécurité mutuelle avec les Romains contre les Huns, ne peuvent empêcher une horde de Huns, de Scires, et de Carpodaces de traverser leur territoire et de passer le Danube. Seule une victoire de Théodose repousse la horde.
Année 382
Paix entre Théodose et les Wisigoths
Le 3 octobre, la grande majorité des chefs Goths acceptent de servir Théodose. Les Goths se sont montrés incapables d'exploiter la victoire d'Andrinople, en renversant les villes. La fondation d'un royaume barbare en territoire romain est encore largement prématurée.
Un traité est ratifié. "Une tribu entière de Goths, avec son roi, s'est rendue à la romania" écrit un chroniqueur anonyme. Le nom de Fritigern n'est pas cité par les sources, ce qui pourrait impliquer qu'il a été tué avant l'acceptation du traité.
C'est un foedus qui est signé. Son contenu exact n'est pas connu mais il semble établi que les Goths deviennent des sujets de l'Empereur tout en restant barbares. Ils n'ont pas le droit de se marier avec des Romains. Des terres exemptes d'impôt sont attribuées dans la partie nord des diocèses de Dacie et de Thrace, entre le Danube et le massif des Balkans, sans que pour autant ces terres soient leur propriété. Ces terres demeurent un territoire romain souverain, bien que les Goths soient considérés comme autonomes. Les Goths ont obligation d'assister militairement les Romains. Les chefs tribaux Goths ne peuvent exercer que des commandements subalternes. Les Goths vivent avec les provinciaux "sous un même toit" (l'institution de l'hospitalitas ou hébergement des soldats par les civils dans leurs maisons). Les Goths enfin ont droit à des subsides annuels dont le montant n'est pas connu.
Des différences notables existent entre le traité de 376 et celui de 382 : de la Thrace, les Goths sont installés au sud du Danube; ils constituent un groupe compact et il est crée de facto une sorte de gothie autonome au sein de la romanité. Ils sont exemptés d'impôts et recoivent des subsides. Il semble que les Goths appliquent leurs lois propres, même en cas de conflit avec des Romains, faisant fi du droit romain.
Théodose semblait avoir le dessus sur les Wisigoths. En dépit d'une tactique de guérilla qui ne pouvait que triompher définitivement des Wisigoths à moyen terme, il décide donc de faire la paix et de réinstaller officiellement les révoltés en territoire romain. Théodose les recrute massivement dans l'armée d'Orient en tant que fédérés, ce qui pose de nombreux problèmes, les Wisigoths conservant l'orgueil - et l'indiscipline - du vainqueur. Ils sont évalués à 40.000 dans son armée. Mais dans l'immédiat, la situation est stabilisée.
L'affaire de l'autel de la Victoire
L'empereur Gratien décide de retirer l'autel de la victoire du Sénat. L'empereur Constance II (337-360) l'avait déjà fait en son temps, cependant il avait été rétabli par l'empereur Julien (360-363). Les sénateurs y faisaient serment d'obéir aux lois de l'empereur et de l'Empire. Mais il était donc devenu avant tout le symbole officiel du paganisme. Sa suppression signifiait la fin de la légalité des religions antiques.
Le Sénat envoie à l'Empereur Gratien une délégation, afin d'obtenir le rétablissement de l'autel de la victoire, mais ce dernier refusa de recevoir les sénateurs.
L'année 382 marque une radicalisation de la religion chrétienne à l'égard des religions antiques, condamnées de plus en plus régulièrement.
Année 383
Usurpation de Maxime en Occident ; mort de Gratien
L'empereur d'Occident Gratien devient impopulaire auprès de l'armée pour s'être entouré d'Alains et de Huns, signe d'un antigermanisme latent qui sera à l'origine de la dramatique sédition de Pavie en 408. Une révolte est menée de Bretagne par l'usurpateur Maxime contre Gratien, qui, abandonné par ses troupes, est tué. Maxime est bientôt reconnu par l'empereur d'Orient Théodose, qui n'a pas les moyens d'intervenir militairement, comme devenant empereur officiel de l'Occident romain. Maxime doit cependant accepter de partager le pouvoir avec l'empereur Valentinien II, frère cadet de Gratien. Maxime contrôle la Bretagne, la Gaule et l'Espagne ; Valentinien II l'Italie, l'Afrique et l'Illyrie.
Le général Stilicon est envoyé chez les Perses Sassanides pour négocier une paix avec l'Empire d'Orient. Sa mission fut une réussite, et peu de temps après son retour il épousa la nièce de l'empereur Théodose Ier. Ce général d'origine vandale entre donc dans la famille impériale d'Orient, ce qui constitue un cas sans précédant.
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Année 384
L'affaire de l'autel de la Victoire
Le Sénat demande pour la seconde fois le rétablissement de l'autel de la victoire, cette fois à l'Empereur Valentinien II. Le sénateur Symmaque s'oppose à cette occasion à Ambroise, évèque de Milan.
Au cours de l'hiver, des barbares non identifiés travèrsent le Danube gelé et arrivent aux abords de l'embouchure du fleuve.
386-395
Administration de Rufin en Orient
En Orient, l'intriguant Rufin devient préfêt du Prétoire, second personnage de l'Etat après l'empereur.
Passant pour un homme vénal et incompétent, il sera à ce point détesté par le général Promotus que ce dernier le frappera au cours d'un conseil, ce qui lui vallu un exil sur le Danube et la mort dans une escarmouche contre des barbares.
D'autres personnages feront les frais des bassesses de Rufin. Tatien et son fils Proculus occupaient les préfectures importantes de l'Orient et de Constantinople. Balançant par leur autorité celle de Rufin, ce dernier provoqua leur chute en les accusant de corruption et en les jugeant personnellement.
Vers 393, Florent, ancien préfet du prétoire dans les provinces transalpines à l'époque de Julien césar (355-360), recourre à Rufin comme protecteur, le comblant de cadeaux. Théodose, sur conseil de Rufin nomme le fils de Florent, Lucien, Comte d'orient. Une fois en place, Lucien repousse une demande d'Eucher, oncle de Théodose, en raison de son illégalité. Eucher s'en plaint à Théodose. Rufin, critiqué pour avoir favorisé Lucien, se rend à Antioche et fait exécuter Lucien.
386-398
Révolte de Gildon en Afrique
Gildon, Prince Maure, se révolte contre l'autorité impériale en Afrique. Il s'octroie pendant 12 ans tous les pouvoirs en Afrique, mais continue de ravitailler Rome en blé et ne se fait pas proclamer empereur, ce qui explique qu'il fut toléré aussi longtemps par le pouvoir politique. Gildon est le frère de Firmus révolté en Afrique sous Valentinien I en 372-373. Gildon était l'homme de confiance de Théodose l'ancien. Sa révolte ne le prive pas d'une certaine légitimité; il est ainsi comes et magister utriusque militiae per africam à la fin de l'année 393 (Codex TH 9.7.9 du 30-12-393). Le pouvoir politique préfère s'accomoder de sa révolte pour un temps, pourvu que le ravitaillement en blé soit assuré, plutôt que de risquer une guerre civile. Gildon se montrera progressivement de plus en plus indépendant, abusant du blé comme moyen de pression politique. Sur le plan religieux, il apporte son soutien l'aile la plus extremiste des donatistes, les hérétiques de la région.
Année 386
Bataille contre des Goths sur le danube
Une ligue pluri-ethnique se constitue au nord du Danube, autour d'un noyau de Goths Greutunges, commandés par Odotheus. Il emmène ses bandes jusqu'en Thrace, défendue par le général Promotus. Ce dernier repousse un débarquement des pillards. Théodose qui se trouve dans la région disperse les prisonniers en Phrygie, à distance des fédérés de Mésie.
Les soldats romains s'en prennent aux fédérés Wisigoths qui brutalisent les civils. Ces agissements et des cas razzia font comprendre à Théodose le danger d'une trop grande concentration de ces fédérés dans l'armée, et le danger de la paix conclue en 382, déséquilibrée.
Année 387
Maxime envahit l'Italie
En août, l'empereur Maxime envahit l'Italie, alors cogérée par Valentinien II, frère de Gratien, et sa mère Justine. Il profita en effet de l'arianisme affiché par Justine -l'arianisme étant perçue officiellement comme une hérésie- pour justifier sa guerre. Justine et Valentinien II quittent l'Italie et vont demander l'aide de Théodose à Constantinople.
Année 388
Guerre civile entre Maxime et Théodose ; désertion de fédérés Goths
De juin à août, Théodose entre en guerre contre Maxime. Composée de contingents de nombreuses origines ethniques, l'armée de Théodose comprend les fédérés Goths.
Une première bataille a lieu à Siscia (Sisak), où la cavalerie des fédérés décide du premier engagement, apparement sans ordre de Théodose, comme ce fut le cas à Andrinople pour la cavalerie de Valens (c'est ce que nomme une bataille de soldats). Théodose bat Maxime à la bataille de Poetovio (Ptuj). Maxime est tué le 28 août, et Théodose restaure Valentinien II sur le trône d'Occident, sous la tutelle d'Arbogast, un général Franc.
Néanmoins, Maxime avait développé une propagande à l'égard des fédérés de l'armée de Théodose, et avait essayé de les soudoyer. Des barbares de tribus non précisées, dont très probablement des Goths de Mésie, désertèrent lorsqu'il fut découvert qu'ils avaient été soudoyé. Ils se retranchèrent dans une région quasi inaccessible, vers l'estuaire de l'Axius (Vardar), à l'ouest de Thessalonique. De là, ils constituent un dangereux foyer de troubles.
Défaite romaine au-delà du Rhin contre des Francs
Les Francs ripuaires montent une expédition en territoire romain, dans la province de Germanie II et de Belgique II, après le départ des troupes d'élites, en prévision de la guerre entre Maxime et Théodose. C'est Sulpice Alexandre qui relate cette guerre entre Romains et Francs en 388, mais son récit n'est connu qu'à travers l'Historien Franc Grégoire de Tours :
Dans ce temps les Francs, sous la conduite de Gennobaude, Marcomer et Sunnon, leurs ducs, firent une irruption dans la Germanie, et, passant la frontière, massacrèrent beaucoup d’habitants, et, ayant ravagé des cantons d’une grande fertilité, portèrent l’épouvante jusqu’à Cologne. Aussitôt que la nouvelle en eut été portée à Trèves, Nannénus et Quintinus, commandants de la milice (càd Maîtres de la milice), à qui Maxime avait confié l’enfance de son fils et la défense des Gaules, assemblèrent une armée et se rendirent à Cologne. Mais les ennemis, chargés de butin, après avoir pillé les richesses des provinces, repassèrent le Rhin, laissant sur le territoire romain plusieurs des leurs prêts à recommencer le ravage. Les Romains les combattirent avec avantage, et tuèrent un grand nombre de Francs près de la forêt des Ardennes.
Comme on délibérait pour savoir si, pour profiter de la victoire, on devait passer dans le pays des Francs, Nannénus s’y refusa, sachant bien qu’ils étaient prêts à les recevoir, et qu’ils seraient certainement plus forts chez eux. Quintinus et le reste de l’armée étant d’un avis différent, Nannénus retourna à Mayence. Quintinus, ayant passé le Rhin avec son armée auprès de Nuitz, arriva, le deuxième jour de marche depuis le fleuve, à des maisons inhabitées et de grands villages abandonnés. Les Francs, feignant d’être épouvantés, s’étaient retirés dans des bois très enfoncés, et avaient fait des abattis sur la lisière des forêts, après avoir incendié toutes les maisons, croyant, dans leur lâche sottise, que déployer contre ces murs leur fureur, c’était consommer leur victoire. Les soldats, chargés de leurs armes, passèrent la nuit dans l’inquiétude. Dès la pointe du jour, étant entrés dans les bois sous la conduite de Quintinus, ils s’engagèrent presque jusqu’à la moitié du jour dans les détours des chemins, et s’égarèrent tout à fait. A la fin, arrêtés par une enceinte de fortes palissades, ils se répandirent dans des champs marécageux qui touchaient à la forêt. Quelques ennemis se montrèrent sur leur passage, montés sur des troncs d’arbres entassés ou sur des abattis. Du haut de ces tours, ils lançaient, comme si c’eût été avec des machines de guerre, des flèches trempées dans le poison des herbes ; de sorte qu’une mort certaine était la suite des blessures qui n’avaient fait qu’effleurer la peau, même dans des parties du corps où les coups ne sont pas mortels. Bientôt l’armée, environnée d’un grand nombre d’ennemis, se précipita avec empressement dans les plaines que les Francs avaient laissées ouvertes. Les cavaliers s’étant plongés les premiers dans les marais, on y vit périr pêle-mêle les hommes et les chevaux. Les fantassins qui n’étaient pas foulés par le poids des chevaux, plongés clans la fange, et, débarrassant leurs pieds avec peine, se cachaient de nouveau en tremblant dans les bois dont ils venaient à peine de sortir. Les légions avant rompu leurs rangs furent massacrées. Héraclius, tribun des Joviniens, ayant été tué ainsi que la plupart des officiers, un petit nombre trouva son salut dans l’obscurité de la nuit et les retraites des forêts. Ce récit se trouve dans le troisième livre de l’histoire de Sulpice Alexandre. (Sulpice Alexandre, d'après Grégoire de Tours, Historia Francorum, Livre II)
L'opération de représailles chez les Francs tourne au désastre. L'armée du maître de la milice Quintinus (Quentin) est anéantie dans une embuscade forestière dans le pays des Francs sur un terrain piégé à l'avance. La division du commandement opérée par Maxime en Gaule avant son départ entraine la division de l'armée des Gaules et finalement sa défaite. Nannénus (Nannien) était vers 370 comte du rivage Gaulois, commandement côtier. Ammien Marcellin parle de lui comme d'un "officier d'une expérience consommée" (Ammien Marcellin, Res Gestae, XXVIII,V,1) puis pour l'année 378 d'un "officier d'une
valeur froide" (Id, XXXI,X,6). Il est alors pour l'occasion associé au Roi des Francs Mellobaude, bouillant personnage dont le caractère s'oppose à la prudence de Nannien. En 388, Nannien est donc également associé à Quentin, officier aussi impétueux que Mellobaude. La division psychologique s'ajoute donc à la division structurelle du commandement.
L'unité citée comme celle des Joviniens est une légion palatine d'élite. Elle n'apparait plus par la suite dans les registres officiels tels la notitia dignitatum, en raison de sa très probable destruction totale.
Arbogast, maître de la milice, est envoyé en Gaule par Théodose après la fin de la guerre civile pour assassiner Victor, le fils de Maxime. Il mène une politique de représailles contre les Francs Ripuaires après le désastre de Quentin outre-rhin jusqu'en 393.
Sulpice Alexandre, là aussi connu par l'intermédiaire de Grégoire de Tours, dans son Historia Francorum, relate les faits :
[...] après avoir raconté le meurtre de Victor, fils du tyran Maxime , il dit : Dans ce temps Charietton et Syrus, mis à la place de Nannénus, s’opposèrent aux Francs avec une armée dans la Germanie. Et après quelques mots sur le butin que les Francs avaient remporté de Germanie, il ajoute : Arbogaste, ne souffrant aucun délai, engagea César (L'empereur Valentinien II) à infliger aux Francs le châtiment qu’ils méritaient, à moins qu’ils ne restituassent tout ce que, dans l’année précédente, ils avaient pillé après le massacre des légions, et qu’ils ne livrassent les auteurs de la guerre, afin qu’on les punit d’avoir violé perfidement la paix. Il raconte ce qui se passa pendant le commandement de Charietton et Syrus ; et ajoute : Peu de jours après, ayant eu une courte entrevue avec Marcomer et Sunnon, officiers royaux des Francs, et en ayant reçu des otages, selon la coutume, le général romain se retira à Trèves pour y passer l’hiver. Comme il les appelle royaux, nous ne savons s’ils étaient rois ou s’ils en tenaient la place. (Sulpice Alexandre, d'après Grégoire de Tours, Historia Francorum, Livre II)
L'affaire de l'autel de la Victoire
Le Sénat envoie une troisième délégation, à l'Empereur Théodose cette fois, pour le rétablissement de l'autel de la victoire.
Année 389
Le général Franc Arbogast prend le pouvoir en Occident ; représailles contre les Francs
Arbogast prend l'essentiel du pouvoir en Gaule, au détriment de Valentinien II, et probablement avec l'accord de Théodose, toujours présent en Occident. Sulpice Alexandre relate les faits :
Le même historien, rapportant la situation critique de l’empereur Valentinien, ajoute : Pendant que divers événements se passaient dans la Thrace, en Orient, l’état des affaires était troublé dans la Gaule. Le prince Valentinien, renfermé à Vienne dans l’intérieur de son palais, et presque réduit au-dessous de la condition de simple particulier, le soin des affaires militaires était livré à des satellites Francs, et les affaires civiles étaient passées entre les mains de la faction d’Arbogaste. Parmi tous les soldats engagés dans la milice, on n’en trouvait aucun qui osât obéir aux ordres ou aux discours particuliers du prince. (Sulpice Alexandre, d'après Grégoire de Tours, Historia Francorum, Livre II)
A l'hiver 389, Arbogast passe le Rhin pour attaquer les Francs sur leur territoire. Bien que cela soit inhabituel, Arbogast attend donc l'hiver pour monter une expédition contre les Francs. L'absence de couverture végétale évite aux Romains de tomber à nouveau dans une embuscade comme ce fut le cas en 388 :
[...] dans la même année, Arbogaste, poursuivant Sunnon et Marcomer, petits rois francs, avec une haine de barbare, se rendit à Cologne dans la plus grande rigueur de l’hiver, pensant qu’il pénétrerait facilement dans les retraites des Francs, et y mettrait le feu lorsqu’ils ne pourraient plus se cacher en embuscade dans les forêts dépouillées de feuilles et arides. Ayant donc rassemblé une armée, il passa le Rhin, et ravagea le pays des Bructères, qui sont le plus prés de la rive, et un village habité par les Chamaniens, sans que personne. se présentât, si ce n’est quelques Ampsuares et Chattes, commandés par Marcomer , qui se montrèrent sur les plus hauts sommets des collines. Là, laissant de nouveau ceux qu’il appelle chefs et royaux, il dit clairement que les Francs avaient un roi, lorsqu’il dit, sans indiquer son nom. (Sulpice Alexandre, d'après Grégoire de Tours, Historia Francorum, Livre II)
Les empereurs Valentinien II et Théodose demandent à ce que les personnes coupables de sorcellerie soient dénoncées comme des ennemies du bien-être public.
391-392
Révolte des Wisigoths installés comme fédérés
9 ans après le traité avec Théodose, les fédérés Wisigoths d'Alaric se révoltent, désertent et se réfugient dans les marécages de Macédoine. Ils pillent la Mésie et les environs de Thessalonique. Le général Promotus subit une grave défaite contre Alaric, renforcé de Huns et de Bastarnes qui ont traversé le Danube. Théodose manque de se faire capturer. Cette première alerte est significative. Les Goths se considèrent encore comme des vainqueurs 13 ans après Andrinople, et sont tentés par les razzias davantage que par le mercenariat.
Année 391
Révolte des Wisigoths installés comme fédérés
Vers le milieu de l'année, Théodose retourne en orient.
A l'automne, des ligues pluri-ethniques franchissent la chaine des Balkans et avancent vers le sud, où elles ont probablement des contacts avec les déserteurs Goths. C'est Alaric, un Goth mésien, qui commande cette expédition.
Cette révolte marque le viol du traité de 382, qui jusqu'alors était respecté par les deux parties, romaine et gothique.
Deux généraux Goths, Fravitta et Eriulf, se querellèrent à la table impériale. Cette querelle se solde par le meurtre de Eriulf. Eriulf, chrétien, représentait la part des Goths opposés à Rome, alors que Fravitta, attaché à la religion de ses ancêtres, était le porte-parole du parti gothique pro-romain, ce qui indique des dissenssions majeures entre les Goths sur les rapports qu'ils doivent entretenir avec les Romains.
Théodose décide de marcher contre les déserteurs, mais comme en Macédoine en 379, il néglige de protéger l'armée pendant son avance. Une embuscade près de la Maritza est tenue par les Goths qui détuisent l'armée impériale. Promotus permet à Théodose de s'échapper de justesse. Promotus reçoit l'ordre de poursuivre les opérations contre Alaric est se fait tuer avant la fin de l'année.
Théodose prohibe les sacrifices paiens, ainsi que la fréquentation des temples, puis interdit à quiconque d'autoriser quelqu'un à enfreindre ces lois.
Année 392
L'affaire de l'autel de la Victoire
Le Sénat envoie une quatrième et dernière délégation, à l'Empereur Valentinien II, pour le rétablissement de l'autel de la victoire. Toutes ces délégations échoueront. Cependant, elles démontrent que les religions antiques restent très populaires en Occident, au moins dans le milieu sénatorial.
Mort de Valentinien II ; Arbogast désigne son successeur, Eugène
Arbogast assassine ou pousse au suicide l'empereur Valentinien II le 22 août, et offre le trône à Eugène, un professeur de rhétorique. On retrouvera dans la seconde moitié du V siècle la même situation d'un chef militaire barbare désignant plusieurs empereurs pour régner en son nom, avec Ricimer, de 456 à 472.
Eugène accepte dès son arrivée au pouvoir le rétablissement de l'autel de la victoire, et favorise les religions antiques, ce qui lui vaut de nombreux soutien dans un Occident romain encore peu christianisé.
Eugène et Arbogast demandent à Théodose d'accepter la légitimité du nouvel Empereur d'Occident. Ce denier temporise, mais se prépare en réalité à une expédition militaire contre Arbogast.
Le 8 novembre, Théodose prescrit une interdiction générale des sacrifices et des offrandes dans les temples aux icones, ainsi qu'aux génies des maisonnées. Toute infraction entraine la confiscation des propriétés où les rites interdits sont tenus.
Avec cette loi, les religions antiques deviennent de facto illégales, et le christianisme devient la seule religion autorisée. Les religions antiques avaient déjà perdu tout caractère public, avec la suppression de l'autel de la victoire. Désormais, l'exercice de ces cultes, même privé, est condamnée. C'est également une déclaration de guerre à peine dissimulée à Arbogast et Eugène.
Cette loi datée du 8 novembre, est-t-elle édictée en réponse au coup de force d'Arbogast?
Arbogast tente de sauver les apparences de la légalité, lorsqu'il remplaçe Valentinien II par Eugène. Il est donc apparement soucieux de ne pas provoquer Théodose. S'il ne cherche pas la confrontation, sa politique, conduite par l'intermédiare d'Eugène, consiste cependant de s'appuyer sur les milieux païens persécutés en Occident. Il recherche par là un appui pour gouverner, et un soutien en cas de conflit avec Théodose.
Il est à peu près certain que cette politique religieuse "réactionnaire" ne pouvait que conduire à un conflit contre Théodose, ce que ne pouvait ignorer Arbogast. La politique religieuse de l'Empereur d'Orient avait démontré sa volonté d'interdire rigoureusement tous les cultes antiques.
L'empereur Théodose, lui, se prépare rapidement à la guerre. Il est en effet poussé par des considérations non pas seulement religieuses mais aussi stratégiques. La révolte en 391-392 des fédérés wisigoths d'Alaric démontre que des éléments fédérés et indisciplinés en trop grand nombre dans l'armée constituent une menace pour la sureté de l'Etat. Une guerre civile bien menée pourrait lui permettre d'éclaircir les rangs de ces Goths si encombrants.
Théodose, en remplacement de Promotus tué en 391, choisit Stilicon. Ce dernier encercle les rebelles Goths et les contraints à négocier. Sur ordre de Théodose, il le laisse partir.
Année 393
Expédition militaire outre-rhin d'Eugène et Arbogast
Eugène et Arbogast menent une expédition outre-Rhin pour obtenir la rédition des Francs et s'assurer de leurs soutiens dans la défense des frontières :
Ensuite le tyran Eugène, ayant entrepris une expédition militaire, après avoir, selon sa coutume, renouvelé les anciens traités avec les rois des Allemands et des Francs, gagna la limite du Rhin pour effrayer les nations sauvages par l’aspect d’une armée très considérable. C’est là tout ce que l’historien ci-dessus nommé a dit des Francs. (Sulpice Alexandre, d'après Grégoire de Tours, Historia Francorum, Livre II)
Année 394
Guerre civile entre Eugène et Théodose
L'empereur Théodose se décide à attaquer l'Occident. Son second fils Honorius âgé de 10 ans, futur empereur d'Occident, reste à Constantinople. Cette guerre civile entre Occident et Orient oppose également les religions antiques au christianisme, lui donnant des airs de croisades religieuses. Les Goths auraient alors fourni 20.000 guerriers pour l'armée d'orient, ce qui devait représenter la majeure partie des Goths en état de porter les armes. Alaric commande ses compatriotes, mais ne reçu ni commandement indépendant ni une charge militaire romaine. Il est placé sous les ordres de Gainas, ce qui provoque son mécontentement.
Bataille du Frigidus - 5 et 6 septembre 394
Les 5 et 6 septembre, les armées de Théodose et d'Arbogast se font face.
La bataille se déroule sur le Frigidus (Vipava), affluent de la rive gauche de l'Isonzo.
Arbogast met en place pour la bataille un dispositif tactique ingénieux. Il a eu tout le loisir d'étudier le terrain et de se préparer au combat.
Théodose et ses troupes empruntent le passage habituel entre Emona et Aquilée qui franchit les Alpes Juliennes par le col du Poirier, une passe assez large et très peu raide à son sommet ne dépassant pas 870 m d'altitude. Il parvient à son sommet sans rencontrer de résistance sur le versant oriental. A dessein, Arbogast laisse son ennemi s'avancer.
Version païenne de la bataille du Frigidus
Elle se caractérise par l'invention d'une éclipse de soleil durant de midi à la tombée de la nuit, dont les autres sources ne parlent pas. Les calculs astronomiques ont démontré qu'il n'y a pas eu d'éclipse à cette date et à cet endroit. Chez Sozime, cette invention semble gratuite. La défaite d'Eugène semble être la conséquence de son imprudence et de sa légéreté; le revers du second jour résulte des réjouissances de la nuit dans son camp après la victoire du premier jour. Cependant, cette source apologétique païenne se doit de blanchir les champions du parti païen, d'où l'invention d'une éclipse. Selon Jean d'Antioche, qui s'inspire de la même source que Sozime (l'historien Eunape), l'éclipse commence à midi et dure toute la journée si bien que la nuit lui succède sans retour de la lumière. Les soldats continuent à combattre jusqu'à la troisième veille et la bataille cesse donc vers 3 heures du matin le lendemain, soit 15 heures de combat de nuit. Les soldats exténués s'endorment et Théodose les attaque à l'improviste pendant la journée du lendemain. L'invention de l'éclipse a pour fonction d'expliquer que si les soldats d'Eugène se laissent massacrer le lendemain, c'est parce qu'ils étaient exténués par un interminable combat de nuit.
Version chrétienne de la bataille du Frigidus
Elle se caractérise par l'absence de l'éclipse, motif païen expliquant la défaite des champions du paganisme, et surtout par l'intervention d'un autre phénomène naturel, le vent impétueux qui se met à souffler le second jour sur la champ de bataille face aux hommes d'Eugène. Ce vent contraint ces derniers à se battre dans des conditions si difficiles et les remplit d'une telle terreur superstitieuse qu'ils se débandent. Ce vent violent bien connu des habitants de la région s'appelle Bora. C'est un vent froid de nord-est allant de Europe de l'Est vers l'Italie. Il souffle en rafale atteignant 100 km/h et faisait souvent dérailler au début du XXème siècle le petit chemin de fer Trieste-Montona. Ce vent soudain et impétueux surpris les combattants des deux camps, leur paraissant à tous miraculeux. L'invention de l'éclipse est une réponse à ce phénomène météorologique devenu miracle chrétien.
Ironiquement, le nom Bora de ce “miracle” chrétien qui rendit possible la victoire définitive de Théodose et du christianisme sur le paganisme provient de Borée, dieu de la mythologie grecque, personnification du vent du nord.
Parfois, le lever de la Bora s'accompagne d'un très soudain et notable obscurcissement de l'atmosphère dû à une épaisse couverture nuageuse entraînée par le vent. La Bora du 6 septembre 394 présentait sans doute cette caractéristique, et le durable obscurcissement de l'atmosphère aurait alors inspiré aux auteurs païens le miracle de l'éclipse de soleil.
Déroulement de la bataille
Théodose semble avoir disposé de plus de troupes qu'Eugène : divers textes attestent que Théodose avait dégarni les frontières pour la guerre civile. De plus la tactique employée par Arbogast est celle d'un adversaire inférieur en nombre qui veut empêcher son ennemi de se déployer.
Théodose arrive d'Emona et gravit le coté oriental du Col du Poirier sans rencontrer de résistance. Au sommet du col se trouve un castellum inoccupé que la route traversait. Un peu au delà, il aperçoit dans la plaine l'armée d'Eugène.
L'armée d'Eugène prend position en plaine, la ligne de bataille se trouvant exactement au pied de la montagne. Les soldats de Théodose, trop nombreux, sont ressérés dans des gorges profondes, ce qui gêne le déploiement de ces troupes. Arbogast a très habilement choisi son terrain et mis en pratique une règle de la guerre défensive qui ne sera formulée théoriquement que beaucoup plus tard par Clausewitz (dans son ouvrage “De la guerre”) : pour barrer un col, un défenseur ne doit pas prendre position sur le col mais en plaine en gardant la montagne devant lui. La ligne de bataille d'Arbogast était munie de retranchements et s'appuyait sur un camp.
Arbogast avait de plus placé des hommes en embuscade au sommet du col. Ce détachement commandé par un dénommé Arbition s'est caché dans un des nombreux replis du terrain boisé entourant la route, Théodose ne rencontrant aucune troupe adverse lorsqu'il passe le col. Après son passage, cette troupe va occuper le castellum que Théodose a laissé derrière lui et referme le piège sur Théodose et son armée, qui ne peut plus faire retraite.
Pendant ce temps, à l'avant, Théodose engagea ses troupes les moins précieuses, à savoir ses Goths commandés par Gaïnas et peut-être Alaric. Les Goths ne parvinrent pas à sortir des gorges et la moitié des Goths, soit environ 10.000, périrent sous les coups de l'armée d'Eugène. Si certains auteurs se réjouissent après coup de la mort de ces Goths, la situation de Théodose n'en était pas moins critique. Orose dit que le corps présent sur l'arrière de Théodose se contente de bloquer son armée dans une nasse, Sozomène dit que ces troupes passent à l'attaque sur ses arrières. Mais si seuls les Goths étaient engagés dans le combat à ce moment-là, le détachement d'Arbition, nécessairement en nombre restreint pour s'infiltrer sans être vu, ne pouvait engager le combat contre les unités régulières de Théodose, car livré alors à lui-même, ce détachement aurait été détruit. Son rôle est donc d'empêcher une retraite de Théodose et d'attaquer lors de l'assaut final.
Théodose passe sa nuit en prière. Durant la nuit ou vers le matin, les officiers et le détachement placés par Arbogast au sommet du col font défection et rejoignent le camp de Théodose. Pour expliquer cette défection, Orose parle du respect inspiré par Théodose, Sozomène parle lui de grades dans l'armée que Théodose est disposé à octroyer aux mutins s'ils changent de camp. Sozomène insiste sur l'initiative qui est prise par les soldats d'Eugène, mais au regard de la situation critique dans laquelle se trouvait Théodose, il est plus que probable que ce fut lui qui démarcha et acheta le ralliement de ces troupes qui menaçaient son armée par l'arrière et qui l'empêchaient de faire retraite.
La voie de la retraite étant libre, les généraux de Théodose lui conseille de se retirer momentanément en Illyricum. Mais, y voyant peut-être un premier effet de ses prières, Théodose décide d'aller de l'avant.
La bataille recommence, certainement au même endroit que la veille. Sans doute très vite ce matin-là, un vent puissant, banal dans la région mais interprété comme miraculeux, se met à souffler. Le vent empêche les soldats d'Eugène de se servir de leurs armes de jets (javelots, lances, arcs), alors que la portée et la puissance des traits de l'armée de Théodose s'en trouvent accrus. Ce phénomène provoque finalement la panique dans l'armée d'Eugène qui ne tarde pas à rompre ses rangs. Ce vent inconnu des troupes a certainement eu un impact psychologique négatif sur les troupes d'Eugène, et inversement positif sur celles de Théodose, de même que le ralliement d'Arbition (il devait être impossible à Eugène d'empêcher les rumeurs dans les rangs à ce sujet). Désorganisés par la pluie de traits adverses et par le vent puissant qui venait de face et les aveuglait de poussière, les rangs d'Eugène ne supportent sans doute pas le choc avec les troupes de Théodose et plient rapidement. Sur les 8 auteurs qui décrivent le phénomène de ce vent lors de la bataille, tous insistent sur les traits de l'armée d'Eugène qui sont repoussés, 4 sur les soldats adverses qui sont déséquilibrés ou désorganisés par le vent, 3 sur les boucliers arrachés aux soldats adverses et encore 3 sur le moral atteint des troupes d'Eugène.
Aucuns auteurs ne relèvent de combats pour la prise du camp, ce qui indiquerait que les soldats d'Eugène soit n'ont pas eu le temps de le rejoindre pour s'y abriter, soit qu'Eugène fut fait prisonnier sur le champ de bataille rapidement, provoquant l'arrêt des combats et la fuite désorganisée des survivants. Eugène est fait prisonnier et conduit à Théodose qu'il le fait exécuter. Une partie des troupes d'Eugène passe aux côtés de Théodose. D'autres fuirent ou périrent dans le Frigidus. Arbogast s'enfuit mais se suicide deux jours plus tard le 8 septembre 394.
Récit de Sozime
Ces dispositions prises, il emmena avec lui Honorius, le plus jeune de ses fils, traversa en hâte toutes les provinces qui se trouvaient sur sa route, s'empara du passage à travers les Alpes et surgit contre toute attente auprès de l'ennemi. Il frappa Eugène de stupeur par cette apparition soudaine; estimant qu'il valait mieux lancer les unités barbares à l'attaque de l'adversaire et prendre d'abord des risques avec eux, il ordonna à Gaïnas d'aller à l'assaut avec les tribus qu'il avait sous ses ordres, suivi également par les autres commandants qui avaient été désignés pour diriger les unités barbares, constituées de cavaliers ainsi que d'archers montés et de fantassins.
Lorsqu'Eugène marcha à leur rencontre avec l'ensemble de ses troupes et que les armées en vinrent aux mains l'une avec l'autre, il se produisit au moment même du combat une éclipse de soleil si complète qu'il sembla plutôt faire nuit que jour pendant un laps de temps considérable; les armées, qui en quelque sorte livraient un combat de nuit, firent un tel carnage que, ce jour même, les alliés de l'empereur Théodose dans leur majorité furent tués, notament Bacurius : parmi leurs généraux, il affronta le danger avec le plus grand courage, alors que les autres d'une manière imprévue, s'enfuirent avec les survivants.
Une fois que la nuit fut tombée et que les armées se furent regroupées et séparées, Eugène, exalté par sa victoire, distribua des cadeaux à ceux qui s'étaient distingués et permit qu'on se restaurât, comme s'il ne devait plus y avoir de guerre après un tel écrasement; tandis qu'ils étaient occupés à se régaler, l'empereur Théodose, ayant constaté que le jour était déjà sur le point de se lever, fondit avec toute son armée sur les ennemis qui étaient encore couchés et les égorgea sans qu'ils se rendent compte de rien de ce qui leur arrivait. Il s'avança même jusqu'à la tente d'Eugène, attaqua ceux qui l'entouraient et tua la plupart d'entre eux; quelques-uns que la panique avait tirés du sommeil, furent pris alors qu'ils s'étaient mis à fuir; parmi eux, il y avait aussi Eugène en personne; ils l'arrêtèrent, lui tranchèrent la tête, la plantèrent au bout d'une très grande pique et la firent circuler dans tout le camp, montrant à ceux qui tenaient encore son parti qu'il leur convenait, comme ils étaient Romains, de rallier à nouveau la cause de l'empereur, étant donné surtout que le tyran avait été supprimé. Or tous ceux pour ainsi dire qui survécurent après la victoire se précipitèrent vers l'empereur, l'acclamèrent en lui donnant le titre d'Auguste et lui demandèrent de leur pardonner leurs fautes ce que l'empereur leur accorda assez facilement; quant à Arbogast, il ne prétendit pas bénéficier de la bonté de Théodose et s'enfuit dans les parages les plus difficiles des montagnes, mais lorsqu'il apprit que ceux qui le recherchaient se répandaient en tous lieux, il se jeta sur son épée, ayant préféré mourir volontairement plutôt qu'être pris par ses ennemis (Zosime Histoire Nouvelle, Livre IV, 58).
Récit de Jean d'Antioche
Lorsqu'il (Théodose) s'approcha des montagnes de l'Italie, Eugène, homme sans expérience de la guerre et des sonneries de trompette, fut frappé d'épouvante par cette rapidité imprévue et l'incroyable vitesse de son déplacement. Quant à Arbogast, qui ne rêvait que de guerre, de bataille et de massacre, il se déchaîna furieusement en combattant la plus grande partie de la journée. Ce jour-là, le soleil se cacha aux yeux des hommes vers l'heure de midi, si bien même que les étoiles apparurent, et que tous les soldats, combattant de nuit, périrent en s'entretuant à coups d'épée. Telle fut donc la situation des armées jusque vers la troisième veille de la nuit. Théodose se replia alors petit à petit et, après avoir prié Dieu, il tomba le lendemain sur les ennemis endormis et les massacra tandis qu'ils étaient dans leur majorité couchés et que le reste se défendait sans avoir pu s'armer; il s'empare d'Eugène en personne vivant, lui coupe la tête, la plante sur une grande lance et la fait circuler dans toutes les régions d'Italie, si bien que la foule entière des ennemis passa du côté du vainqueur et obéit à ses ordres. Arbogast, pour sa part, révélant ainsi l'extravagance de son tempérament de barbare, se suicida en se jetant sur sa propre épée (Jean d'Antioche, Fragment 187).
Récit de Rufin d'Aquilée
Mais lorsque Théodose, fort de l'appui de la vraie religion, commença à forcer les défilés des Alpes, les démons, à qui on avait en vain sacrifié tant de victimes, mais qui tremblaient parce qu'ils se savaient trompeurs, furent les premiers à être mis en fuite. Ce fut ensuite aussi le tour de ceux qui enseignent et professent ces erreurs, et tout particulièrement (Nicomaque) Flavien; coupable d'une faillite plus que d'un forfait – alors même qu'il aurait pu en réchapper, car c'était un homme fort savant – il jugea qu'il méritait la mort plus justement pour son erreur et pour son crime. Tous les autres cependant rangent l'armée en bataille et, après avoir placé des hommes en embuscade au sommet du col, ils attendent eux-mêmes le combat sur le versant descendant de la montagne. Mais tandis que les premières lignes entraient en contact et que les ennemis se rendaient immédiatement à l'empereur légitime, un engagement très violent se déroule avec tous les autres qui sont pris au piège dans de profondes vallées. La victoire resta quelque temps incertaine et les auxiliaires barbares étaient mis en déroute et déjà fuyaient devant l'ennemi. Mais il en allait ainsi non pour que Théodose fût vaincu, mais pour qu'il ne parût pas vaincre grâce aux barbares. Quand l'empereur, qui se trouvait debout sur un rocher élevé d'où il pouvait voir les deux armées et être vu par elles, constata que ses lignes étaient enfoncées, il jeta ses armes et se tourna vers celui qui le secourait habituellement en se prosternant devant la face de Dieu : “Dieu tout puissant” dit-il, “tu sais que j'ai entrepris cette guerre au nom de ton fils jésus-christ, je crois pour une juste vengeance; si tel n'est pas le cas c'est moi qu'il faut punir, mais si je suis venu ici pour une cause digne d'approbation et fort de ton aide, tends ta main droite aux tiens, pour que les gentils ne puisent pas dire: où est leur Dieu?”.
Certains que Dieu acceptait cette prière du pieux empereur, les généraux qui étaient présents prennent courage pour le massacre. Bacurius notamment – un homme que distinguaient sa foi, sa piété et son courage tant moral que physique, si bien qu'il méritait d'être le compagnon et l'allié de Théodose – abat pêle-mêle tous ceux qui sont à sa portée à coups d'épieu, de javelot et d'épée, fait une percée à travers les rangs serrés et concentrés de l'ennemi et se fraie une voie au milieu des milliers d'hommes en fuite jusque vers le tyran lui-même après avoir enfoncé les lignes et amoncelé les cadavres. C'est à peine sans doute que les impies pourraient croire ce qui s'est passé. On remarqua en effet qu'après la prière que l'empereur avait adressée à Dieu un vent si violent se leva qu'il rejetait les traits de l'ennemi contre ceux qui les avaient lancés. Comme le vent continua à souffler avec violence et qu'aucun des javelots lancés par l'ennemi n'arrivait au but, le courage des adversaires fut brisé, ou plutôt rendu divinement sans effet, malgré la vaine vaillance du général Arbogast, qui avait Dieu contre lui; on amène Eugène aux pieds de Théodose, les mains liées derrière le dos, et ce fut là la fin de sa vie et du combat. Alors en vérité le dévot empereur acquit une plus grande gloire par la victoire remportée sur les espoirs déçus des païens que par la mort du tyran; pour les païens, leurs vaines chimères et leurs fausses prophéties furent moins une punition lorsqu'ils moururent qu'un motif de honte durant leur vie (Rufin, Histoire Ecclesiastique)
Récit d'Orose
Eugène et Arbogast avaient déployés leur armée rangées en bataille dans la plaine et avaient occupé les versants resserrés et les points de passage obligés des Alpes en y disposant adroitement à l'avance des troupes en embuscade : quand bien même ils l'emportaient en nombre et en puissance, la victoire leur appartenait cependant grâce à leur seul dispositif tactique. Quant à Théodose, installé au sommet des Alpes, sans manger ni dormir, sachant qu'il était abandonné par les siens, ignorant qu'il était pris au piège par l'ennemi, seul, il priait le seigneur jésus-christ, le seul qui soit tout puissant, le corps prosterné sur le sol, la pensée fixée au ciel. Ensuite il passa la nuit sans dormir et sans cesser de prier et laissa derrière lui presque des flaques en témoignage des larmes qu'il avait versées comme prix du secours céleste, puis il se saisit de ses armes, plein de confiance, seul, sachant qu'il n'était pas seul. D'un signe de croix, il donna le signe du combat, et se lança dans la bataille dont il allait sortir vainqueur même si personne ne le suivait. C'est Arbition, comte dans le parti adverse, qui ouvrit la première voie du salut : alors que par des embuscades disposées tout à l'entour il avait bloqué l'empereur qui ne se doutait de rien, il fut saisit de respect quand l'Auguste fut présent et non seulement le délivra de ce danger, mais encore le renforça du secours de ses troupes.
Mais quand les armés en vinrent à se faire face pour engager le combat, voici soudain qu'une grande et indicible tempête de vent se déchaîna face à l'ennemi. Les traits que lançaient les nôtres, soutenus par le souffle du vent et portés au travers d'un vaste espace par une force de jet plus qu'humaine, ne pouvaient presque pas retomber au sol avant de se ficher au but. De plus, sous l'effet des rafales de vent ininterrompues, les boucliers tantôt les destituaient de toute protection en leur étant brusquement arrachés, tantôt les renversaient sur le dos s'ils étaient opiniâtrement maintenus en place. Les traits aussi qu'ils avaient lancés eux-mêmes avec force étaient saisis par la violence du vent contraire, rejetés en arrière, et les perçaient eux-mêmes misérablement. La peur qui envahit l'âme humaine les poussa à songer à leur salut, car à peine un petit détachemet parmi eux se fut-il débandé que l'armée ennemie se jeta aux pieds de Théodose vainqueur; Eugène fut pris et mis à mort; Arbogast se tua de sa propre main. Ainsi, dans cette circonstance aussi, le sang de deux victimes éteignit, abstraction faite des 10.000 Goths qui furent envoyés en avant par Théodose et, dit-on massacrés jusqu'au dernier par Arbogast; les avoir perdus fut de toute façon un gain, et leur défaite une victoire (Orose, Historia adversus paganos)
Récit de Philostorge
A l'apparition du printemps, il part en campagne contre le tyran; s'étant dirigé vers les Alpes, il s'en empara grâce à une trahison. Il engagea le combat avec le tyran près de la rivière qu'on désigne du nom d'Eau Froide et , après une rude bataille au cours de laquelle beaucoup d'hommes tombèrent de part et d'autre, la victoire se détourna cependant avec horreur du tyran et honora le pouvoir légitime. Le tyran est alors fait prisonnier et décapité. Quand à Arbogast, désespérant du salut, il se tue en se jetant sur son épée (Philostorge).
Récit de Socrate
Quand il partit en campagne contre Eugène, un très grand nombre de Barbares d'au-delà du danube le suivirent, car ils préféraient être ses alliés contre le tyran. Peu de temps après, il parvint en Gaule avec des forces considérables. C'est là en effet qu'il (Eugène) se préparait à combattre, ayant lui aussi une armée de plusieurs dizaines de milliers d'hommes. La bataille s'engage donc près de la rivière nommée Frigidus, qui se trouve à une distance de ... Dans le secteur où des Romains se battaient contre des Romains, le combat était indécis, mais dans celui des barbares alliés à l'empereur Théodose, les troupes d'Eugène avaient largement le dessus. L'empereur, voyant les barbares se faire massacrer, en conçut une très grande inquiétude, se prosterna sur le sol et invoqua le secours de Dieu; sa prière ne fut pas repoussée. Le général Bacurius reprit en effet si bien courage qu'avec les soldats du premier rang, il se lança dans le secteur où les Barbares étaient contraints de fuir; il taille en pièce les phalange et met en fuite ceux qui un instant auparavant étaient les poursuivants. En outre, il se produit également un phénomène étonnant. En effet, un vent violent s'étant mis à souffler, il rejetait les traits lancés par les troupes d'Eugène contre les tireurs tout en dirigeant aussi contre eux avec une violence accrue les traits de leurs adversaires : si efficace fut la prière de l'empereur! Le sort de la bataille s'étant décidé de cette manière, le tyran se jeta aux pieds de l'empereur et lui demanda d'avoir la vie sauve, mais les soldats lui tranchèrent la tête alors qu'il était aux pieds de l'empereur. Ces évènements se produisirent le 6 septembre, sous le 3ème consulat d'Arcadius et le 2nd d'Honorius. Arbogast, le responsable de tous ces malheurs, après avoir fui durant deux jours après la bataille, se rendit compte qu'il ne pourrait en réchapper vivant et se tua de sa propre épée (Socrate).
Récit de Sozomène
Puis, se dirigeant vers les Alpes, il s'empara des premiers postes de garde. Après qu'il eut franchi le sommet du col d'accès et quand il se trouva sur le versant descendant, il vit la plaine remplie de cavaliers et de fantassins et, non loin sur ses arrières, de nombreux ennemis qui simultanément se tenaient en position d'attente au sommet de la montagne. Lorsque les premiers à arriver sur place prirent contact avec ceux qui se trouvaient dans la plaine, une bataille violente et incertaine s'engagea alors que l'armée était encore en train d'arriver; Théodose se rendit compte que, dans la mesure où cela dépendait des forces et de la sagesse humaines, il n'y avait pas de salut possible, vu que ceux qui s'étaient emparés des sommets passaient à l'attaque sur les arrières, tomba prosterné sur le sol et pria en versant des larmes. Et Dieu l'écouta instantanément, comme le montra l'évènement. En effet, les commandants de ceux qui occupaient le sommet envoyèrent quelques messagers pour annoncer qu'ils passeraient du côté de Théodose s'ils avaient la perspective d'occuper auprès de lui un rang honorable. Théodose chercha du papier et de l'encre mais n'en trouva point, prit une tablette que l'un de ceux qui l'entouraient avait par hasard avec lui, et leur communiqua par écrit le rang militaire distingué et conforme à leurs mérites qu'ils obtiendraient de lui s'ils remplissaient leurs promesses. Or, à ces conditions, ils rallièrent le parti de l'empereur.
Aucun des deux adversaires n'avait encore cédé, et la bataille était toujours indécise de part et d'autre dans la plaine, lorsqu'un vent commença à souffler face aux ennemis avec une violence encore jamais enregistrée auparavant et mit en désordre dans les rangs de l'adversaire; il retournait les traits et les javelots dirigés contre les Romains si bien qu'ils perçaient les corps de ceux qui les lançaient comme après avoir rebondi en arrière en heurtant un obstacle, leur arrachait les boucliers des mains et les précipitait contre eux en soulevant des nuages de poussière et toutes sortes d'objets. Privés de leurs armes, ils furent pour la plupart massacrés à l'instant même, tandis que les autres trouvèrent un instant le salut dans la fuite puis furent bientôt faits prisonniers. Eugène pour sa part se précipita aux pieds de l'empereur et implora son salut; tandis qu'il suppliait, l'un des soldats lui trancha la tête. Quant à Arbogast, il s'enfuit après la bataille puis se suicida (Sozomène)
Récit de Théodoret
Etant parti en campagne avec cet espoir (la prophétie du moine Jean), l'empereur massacra un grand nombre d'ennemis dans une bataille rangée, mais perdit de nombreux barbares qui lui étaient alliés. Les généraux déclarèrent que les hommes qu'on pouvait réunir pour les ranger en bataille étaient en petit nombre et suggérèrent d'interrompre momentanément les opérations afin – lorsque le printemps recommencerait – de rassembler l'armée et de l'emporter sur l'adversaire par les effectifs; mais l'empereur très croyant n'accepta pas cette proposition. Il déclara en effet qu'il ne convenait pas de reprocher une telle faiblesse à la croix salvatrice ni de reconnaître une telle puissance à l'image d'Hercule : “La croix sert en effet de guide à notre armée, et l'image d'Hercule à celle de nos ennemis.” Après avoir ainsi parlé, rempli de confiance – et alors que ce qui restait de l'armée était en petit nombre et se trouvait fort découragé – il découvrit une petite chapelle au sommet de la montagne sur laquelle était installé le camp et passa toute la nuit à prier le maître de l'univers.
Au chant du coq, le sommeil l'emporta sur sa persévérance. Etendu sur le sol dur d'un monticule, il crut voir deux hommes vêtus de blanc montés sur des chevaux blancs, qui lui ordonnaient d'avoir courage, de bannir ses craintes, de revêtir ses armes à l'aube et de ranger son armée en bataille; ils lui dirent en effet qu'ils lui avaient été envoyés comme protecteurs et champions. L'un déclara qu'il était Jean l'evangéliste, l'autre Philippe l'Apôtre. Ayant eu cette vision, l'empereur n'interrompit pas sa prière, mais la présenta avec une ardeur accrue. L'un des soldats vit aussi l'apparition et mit au courant l'officier subalterne, celui-ci transmit la nouvelle à l'officier supérieur, et ce dernier au général; quant au général supposant qu'il révélait un fait nouveau, il mit au courant l'empereur. Mais celui-ci dit : “Ce n'est pas à mon profit que ce soldat a eu cette vision, car moi, j'ai fait confiance à ceux qui m'ont promis la victoire. Mais pour éviter que quelqu'un n'aille supposer que j'ai inventé cette vision parce que je désire engager la bataille, le protecteur de mon pouvoir impérial l'a aussi montré à cet homme, pour qu'il devienne un témoin digne de foi de mon récit; car c'est à moi en premier que le maître de tous à montré cette apparition. Délivrons-nous donc de la crainte et suivons nos champions et guides dans le combat, et que personne ne fasse des conjectures au sujet de la victoire et se fondant sur le nombre des combattants, mais que chacun pense à la puissance de ceux qui commandent.”
Après s'être adressé aux soldats également en ces termes et avoir ainsi rempli chacun de courage, il les fit descendre du sommet de la montagne. Quand il vit au loin que les soldats voulaient combattre, le tyran fit de son côté prendre les armes à ses troupes et les rangea en bataille. Il s'installa lui-même sur une colline, et déclara que l'empereur souhaitait mourir et qu'il se préparait à combattre avec le désir d'être délivré de cette vie; puis il ordonna aux généraux de lui amener l'empereur vivant et enchaîné.
Les troupes ayant été rangées en ordre de bataille, les effectifs de l'ennemi se trouvèrent de plusieurs fois supérieurs, tandis que les effectifs mis en ligne par l'empereur étaient extrêmement faciles à dénombrer. Quand on eut commencé de part et d'autre à lancer des traits, les champions montrèrent que leurs promesses allaient être tenues. En effet, un vent violent soufflant en direction des ennemis détournait les flèches qu'ils décochaient; leurs javelots, leurs lances et tous leurs traits leur étaient inutiles; ni les soldats lourdement armés, ni les archers, ni les voltigeurs ne parvinrent à causer des pertes dans l'armée de l'empereur. Cependant la poussière en nuages très denses les frappait au visage et les forçait à fermer les yeux et à protéger leurs pupilles mises en danger. Quant aux soldats de l'empereur, ils n'étaient en rien gênés par cet ouragan et massacraient avec résolution leurs adversaires. Lorsque ceux-ci se rendirent compte de la situation et constatèrent l'intervention de l'aide divine, ils jetèrent leurs armes et supplièrent l'empereur de leur accorder son pardon.
L'empereur céda, les fit bénéficier de sa compassion et leur ordonna de lui amener sans délai le tyran. Il montèrent donc en courant sur la colline où celui-ci était installé, ignorant tout de ce qui se passait. Les voyant essouflés et trahissant leur hâte par leur respiration rapide, il supposa qu'ils lui annonçaient la victoire et leur demanda s'ils lui amenaient également Théodose enchaîné, comme ils en avaient reçus l'ordre. Ils lui répondirent : “Ce n'est pas lui que nous t'amenons, mais toi que nous emmenons vers lui, c'est en effet ce qu'a ordonné le Tout-Puissant.” Sur ces mots, ils l'enlevèrent de son siège, lui mirent des liens, l'emmenèrent enchaîné et l'escortèrent comme prisonnier de guerre, lui qui peu auparavant était si sûr de lui. L'empereur lui rappela ses crimes commis à l'égard de Valentinien, son usurpation du pouvoir et ses campagnes contre l'empereur légitime; il se moqua aussi de l'image d'Hercule et de la vaine confiance qu'elle avait inspirée. Et alors il prononça la sentence juste et conforme aux lois du châtiment qui lui était infligé. L'empereur était pareil à lui-même en temps de paix et en temps de guerre; toujours il implorait le secours divin, toujours il l'obtenait. (Théodoret, Historia Ecclesiastica)
Récit de Claudien
La déesse Rome sur son attelage va trouver Théodose après la victoire du Frigidus : Sans le moindre retard, directement d'un seul vol, ils (les chevaux de l'attelage de la déesse Rome) atteignirent leur but : l'endroit où dans leurs premiers contreforts, les Alpes resserrent la voie d'accès en gorges tortueuses et dressent un obstacle infranchissable de rochers entassés qu'aucune main ne peut vaincre mais qui s'ouvre seulement à Auguste, trompant la confiance des deux tyrans. Les tours à moitié détruites et les murs démantelés fument; les cadavres s'entassent en hauteur et ont mis la profonde vallée au niveau des sommets; les corps gisent, plongés dans le sang; dans le désordre du carnage errent les mânes bouleversés (Claudien, Panegyricus dictus Probino et Olybrio consulibus)
La bonne étoile d'Honorius a aidé son père Théodose :
C'est grâce à toi que même les Alpes furent faciles à envahir et que le prudent ennemi n'a retiré aucun profit de s'être établi dans des positions retranchées; le vain espoir mis dans la palissade s'évanouit et les barrages s'ouvrirent quand les rochers furent arrachés. C'est grâce à toi que l'Aquilon, du haut de la montagne, renversa les lignes ennemies de ses rafales glacées, retourna les traits repoussés vers ceux qui les décrochaient et rejeta les lances grâce à ses tourbillons. O prince très chéri de Dieu, pour qui Eole du fond de son antre lance ses tempêtes armées, pour qui le ciel part en guerre et les vents conjurés obéissent à la trompette! Les neiges des Alpes se teignirent de rouge, le torrent Frigidus se mit à fumer, ses eaux métamorphosées, et les cadavres en grand nombre l'eussent arrêté si un flot de sang n'avait accéléré son cours. Cependant le sauvage fauteur de ces crimes s'était percé son flanc profond non d'une seule pointe; deux épées se trouvaient tiédies de son sang, et sa main enfin équitable avait retourné contre lui-même sa fureur vengeresse (Claudien, Panegyricus de tertio consulatu Honorii Augusti)
Récit d'Ambroise
Souvent en effet les javelots retombent sur ceux-là mêmes qui les ont lancés. C'est précisément ce qui est arrivé durant la dernière guerre, lorsque les infidèles et les sacrilèges attaquèrent un homme qui avait confiance dans le seigneur et prétendirent lui arracher son pouvoir en menaçant les églises du seigneur des maux cruels de la persécution : soudain un vent se leva qui arracha les boucliers des mains des infidèles et rejeta tous les javelots et les flèches contre l'armée du pécheur. L'ennemi était encore loin et déjà ils ne pouvaient endurer l'attaque des vents; ils étaient victimes de leurs propres dards et, ce qui est pire, ces blessures atteignaient plus gravement leurs esprits que leurs corps; ils perdaient en effet courage, car ils se rendaient compte que Dieu combattait contre eux. C'est ainsi donc qu'ils étaient partis pleins de défi et tiraient du carquois de leur coeur des traits empoisonnés de perdifie contre le peuple chrétien, mais leur impiété retombait sur leur tête. Finalement, ils se détruisirent eux-mêmes entre eux par leur perfidie et le seigneur éventa les embûches qu'ils avaient tendues aux fidèles, si bien que non seulement ils ne purent pas nuire aux hommes pieux, mais qu'ils furent aussi dépouillés de leurs propres secours et que leurs soldats passèrent à l'ennemi (Explanatio psalmi, Ambroise)
C'est en effet à l'ancienne manière et conformément aux miracles du temps jadis que ta victoire, comme à saint Moïse, comme à saint jésus Navé, comme à Samuel et comme à David, passe pour t'avoir été accordée non par l'effet de la prévoyance humaine, mais par un don de la grâce céleste (lettre d'Ambroise à Théodose, Epistula 62).
Comme la colonne de marche de l'armée, resserrée dans un passage étroit et gênée par les bagages des valets d'armée, descendait avec quelque retard pour se mettre en ligne de bataille et que l'ennemi paraissait escadronner en formation de guerre, le prince sauta de son cheval, s'avança tout seul devant la ligne et dit : “où est le dieu de Théodose?” (De obitu Theodosii, Ambroise).
Il n'aurait en effet pas pu vaincre s'il n'avait invoqué celui qui aide les combattants (De obitu Theodosii, Ambroise).
Récit d'Augustin
Peu après, il tua le tyran Maxime et rétablit avec une vénération pleine de pitié Valentinien encore enfant dans la partie de l'Empire d'où il avait été expulsé. Puis, ce jeune prince étant bientôt mort dans un guet-apens ou d'un accident, ou autrement, Théodose abattit un autre tyran, Eugène, illégalement élu à la place du jeune empereur. Fort d'une seconde réponse prophétique et sûr de vaincre, il combattit contre la puissante armée d'Eugène plus par la prière que par l'épée. Des soldats qui étaient à ce combat nous ont raconté que du côté de Théodose, un vent violent s'éleva qui arrachait leurs traits des mains de ses soldats pour les diriger avec la plus grande violence sur les ennemis, et qui retournait contre les ennemis les traits que ceux-ci lançaient. Aussi le poète Claudien, bien qu'adversaire du christianisme, s'est-il écrié dans son éloge de Théodose : “O prince trop aimé de Dieu, pour toi combat l'éther; pour toi les vents conjurés accourent au son de la trompette.” Vainqueur comme il l'avait cru et prédit, Théodose renversa les statues de Jupiter élevées dans les Alpes et consacrées, paraît-il, à ce dieu contre lui, je ne sais par quels rites. Et comme ces statues avaient des foudres d'or, les coureurs du prince lui dirent en plaisantant (familiarité permise par la victoire) qu'ils voudraient bien en être foudroyés. Il en rit et leur en fit aimablement cadeau (Augustin, Eloge de Théodose).
Récit de la chronique gauloise
Pour venger la mort de Valentinien et écraser l'usurpation d'Eugène, Théodose passe en Italie avec l'aide évidente de Dieu et la complicité des éléments qui favorisent son entreprise.
(Sur les sources antiques et la bataille du Frigidus, voir les commentaires de François Paschoud, dans l'Histoire Nouvelle de Zosime, Ed. les Belles Lettres, Tome IV)
Au cours de cette guerre, Théodose, conscient du problème des fédérés Goths dans son armée, cherche à épuiser ces derniers. 20.000 d'entre eux sont employés dans cette bataille en première ligne. Leurs pertes sont évaluées à 10.000 hommes par Orose. Théodose profite de sa victoire pour incorporer les troupes occidentales vaincues à son armée. Il limite ainsi la part des fédérés, mais il concède à leurs chefs des titres de sénateur ou de consul pour la première fois dans l'histoire romaine. L'Empire est réunifié par Théodose pour quelques mois (4 mois et 11 jours).
Alaric devient le chef des troupes gothiques. C'est au cours de cette guerre qu'Alaric acquiert ses talents militaires, qui lui permettront 16 ans plus tard de mettre Rome à sac.
Raids de Huns en Thrace
L'hiver venu, la Thrace est ravagée par des Huns, qui franchissent pour la première fois massivement le Danube pris par les glaces. Apparement, ces activités témoignent de la maitrise croissante de la rive nord du danube par les Huns, qui ont réussi à installer durablement leur domination. Le territoire que les Goths occupent entre le danube et la chaine des Balkans, laissé sans défense après le départ du contingent gothique, est ouvert au pillage.
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