411-421 Quelques années de répit

Année 411



L'Empire Romain en 411


Tentative de redressement de l'empire
L'autorité impériale tente de redresser l'Italie, en diminuant la fiscalité des provinces les plus touchées, en rétablissant les postes publiques, en favorisant fiscalement le renouveau de l'agriculture. Une amnistie générale est décrétée. Rome fut en partie restaurée, et le ravitaillement africain est rétabli par le Comte Héraclien, après la chute de l'usurpateur Attale.

Un témoignage de l'état de l'Espagne après les invasions
Le chroniqueur et évêque espagnol Hydace de Chaves (v.395 - v.470) rédige dans sa chronique un portrait apocalyptique de sa province natale suite aux invasions des Vandales, Alains et Suèves en 409.
Les Barbares ayant pénétré dans les Espagnes, les dévastent de façon sanguinaire. La peste, de son côté, n’est pas moins virulente dans ses ravages.
XVI. Pendant que les Barbares se répandent dans les Espagnes, et que la peste ne produit pas moins de ravages, le tyrannique collecteur d’impôts vole et les soldats pillent les réserves et les richesses entreposées dans les villes. Une famine apparaît, si effroyable que les humains, poussés par la faim, se font cannibales; les mères tuent même leurs enfants et cuisent leurs corps pour se nourrir. Les bêtes féroces, habituées aux cadavres tués par l’épée, par la faim ou la maladie, tuent n’importe quel être humain ayant quelque force restante, se nourrissant de sa chair, préparant sauvagement la destruction du genre humain. Ainsi les châtiments de Dieu prédits par les prophètes s'accomplirent dans les quatre plaies qui désolaient toute la terre : le fer, la famine, la peste et les bêtes.
XVII. Après avoir répandu sur les provinces d’Espagne ces plaies, le Seigneur eût pitié et les Barbares furent contraints à la paix, se répartissant les territoires des provinces pour s’y établir. Les Vandales occupèrent la Galice et les Suèves la partie située à l’ouest au bord de l’Océan. Les Alains s’allouèrent les provinces de Lusitanie et de Carthagène, les Vandales Sillings, la Bétique. Dans les villes et forteresses les Espagnols épargnés par les malheurs se soumirent à la domination des Barbares qui dirigeaient leurs provinces.
(Hydace, Chronique, XVI-XVII)

Bien que Hydace cède aux topos littéraires classiques des auteurs antiques sur le déclin (dépopulation, famine), son témoignage reste celui d'un contemporain qui vivait sur place. Il apparait donc qu'une insécurité terrible sévissait en Espagne suite aux invasions.

Défaite et mort de Constantin III
Constantin III se fait à nouveau assiéger à Arles, par Constance cette fois. Cependant, l'intervalle entre les deux sièges lui donna le temps de négocier l'aide de Francs et de Germains. Edobic, son ambassadeur, revint avec une armée alors que le siège se prolongeait. Constance et son lieutenant Ulphilas écrasèrent cependant cette armée de secours. Constantin III se résolut à se rendre à Constance, après s'être fait moine, craignant pour sa vie. Il fut malgré cela exécuté par ordre de l'Empereut Honorius le 18 novembre 411, avec son second fils Julien, peu après s'être rendu, alors qu'il était en chemin pour l'Italie.

Avec l'échec de Constantin III, toutes ses troupes régulières disparaissent. Déjà dispersées en Gaule, en Espagne, au nord de l'Italie, elles ne peuvent s'organiser, livrées à elles-mêmes. Les dernières forces militaires en Occident sont donc l'armée de Constance, les troupes en Afrique du Nord, et les renforts potentiels que l'Orient pourrait envoyer.

Usurpation de Jovin
Un nouvel usurpateur apparait en Gaule entretemps: Jovin, membre de la haute noblesse gauloise. Durant le quatrième mois du siège d'Arles, avant la rédition de Constantin III, on apprit que Jovin, couronné à Mayence dans la haute germanie à l'instigation de Goar le roi des Alains et de Guntiarius, roi des Burgondes, s'avançait vers le Rhône, à la tête d'une armée de barbare. Les Burgondes sont en contrepartie autorisés à s'installer sur la rive gauche du Rhin. Attale intervient alors et sert d'intermédiaire entre Jovin et les Goths, un accord rendant possible la domination de Jovin sur l'Italie.


Année 412
Guerre contre Jovin
Constance, devant l'avancée de Jovin, et en dépit de sa victoire sur Constantin III l'année passée, se retire et lui laisse la plus grande partie de la Gaule.
Honorius ne vit en Jovin qu'un usurpateur de plus à éliminer. Comme pour Constantin III, il se montrera intraitable avec celui qui pouvait menacer son trône et sa vie. L'armée de Jovin ne pouvait qu'être composée qu'en grande partie de peuples germains ; fédérés ou alliés situés aux frontières (Francs?), ou liminatei, également germains depuis les années 380.

Première installation des Wisigoths en Aquitaine
Honorius engage Althaulf pour chasser d'Espagne les envahisseurs barbares. Il décide d'installer les Wisigoths en Gaule, d'où ils peuvent à la fois passer en Espagne contre Vandales, Suèves et Alains, et lutter contre Jovin, qui a prit pied dans la Gaule ultérieure (est de la province). Althaulf emmène comme otage Galla Placidia, qu'il épousera peu après. Les villes de Narbonne, Toulouse et Bordeaux sont placées sous l'autorité des Wisigoths.

L'installation des Wisigoths en Gaule répond à une de leur attente souvent déçue par le passé : disposer d'une terre viable capable d'assurer leur survie alimentaire. Les régions anciennements attribuées par le pouvoir romain étaient soit frontalières et donc exposées aux raids de barbares nomades tels les Huns, soit pauvres en terme d'agriculture. L'attribution de territoires en Gaule est non seulement une décision stratégique pour lutter contre les ennemis de Ravenne, mais également un signe de bonne volonté de l'autorité impériale à l'égard des Wisigoths.

Lutte contre les donatistes en Afrique
L'empereur Honorius décrête des mesures extrêmes pour lutter contre les hérétiques Donatistes en Afrique du Nord.
Théologiquement, pour les chrétiens Donatistes, la validité des sacrements dépendait de la sainteté des ministres, ce que déniaient les Catholiques. Dès 317, l'empereur Constantin persécute les Donatistes, prescrivant l'exil des meneurs et la confiscation de leurs basiliques. Les émeutes qui ravagèrent l'Afrique du Nord contraignirent Constantin à plus de modération.
A partir de 347, le mouvement Donatiste élargit son audience populaire par une alliance explicite avec les Circoncellions, ouviers agricoles révoltés, à l'image des Bagaudes en Gaule. Se mettant ainsi délibérément dans l'illégalité, tant religieuse que civique, le Donatisme est réprimé énergiquement par l'empereur Constance II, fils de Constantin.
En juin 411, la conférence de Carthage réunissant des évêques donatistes et catholiques, cherche à règler le problème définitivement. Les Catholiques l'emportant à la conférence, Honorius est désormais légitimé dans la répression du mouvement hérétique... 300 évêques et des millers d'ecclésiastiques de rang inférieur sont dépouillés de leurs biens, sont bannis et privés de leur rang de citoyens. Jugées très favorablement par Augustin, ces mesures provoquèrent une guerre civile avec l'autorité impériale.
Cette guerre civile se poursuivra jusqu'à l'invasion vandale de 428, qui sera facilitée par ces hérétiques. En effet, les Vandales étant Ariens, les Donatistes révoltés pouvaient logiquement voir en eux des libérateurs contre un pouvoir impérial, catholique oppresseur. Il faut peut-être y voir là la source de la réputation de persécuteur des Vandales : les Donatistes auraient été responsables des persécutions anti-catholiques, au cours de la domination vandale en Afrique.

En orient, début de la constuction de la seconde muraille de Constantinople, sanctuarisant tout l'Orient Romain. Vers 360, un atlas du monde et des peuples déclarait que la force militaire de l'Empire repose en Orient sur les montagnards d'Asie Mineure (Galates, Ciliciens, Isauriens, Arméniens). Grâce à cette muraille, l'Orient sauvegardera sa souveraineté militaire.


Année 413
Guerre contre Jovin
Les Wisigoths, menés par Athaulf, beau-frère d'Alaric, s'installent en Narbonnaise. Athaulf se montre, du moins au début, relativement respectueux de l'autorité impériale.

Au début de l'année, Athaulf fait cependant monter les enchères en soutenant l'usurpateur Jovin, qui avait établi son quartier général en Auvergne.
Athaulf entra en pourparlers avec l'usurpateur, mais ce dernier refuse l'alliance avec les Wisigoths, qu'il juge sans doute peu fiable. Il est également possible que Ravenne ait versé un tribut à Athaulf afin de le dissuader de soutenir Jovin.

Jovin revêt de la pourpre son frère Sébastien et accepte les services de Sarus, qui avait quitté le camp d'Honorius, mais qui était aussi l'ennemi de longue date d'Alaric et de son frère Athaulf. Cette alliance pousse les Wisigoths à attaquer et Sarus est tué dans une escarmouche.
Conséquence de cet évènement, Athaulf s'entend ave Honorius. Il marche contre les usurpateurs gaulois pour le compte de l'empereur. Abandonnés par leurs auxiliaires barbares, Jovin et Sébastien sont vaincus, après un siège à Valence semble-t-il. Dernier usurpateur encore en vie, Attale est lui abandonné par Athaulf. Ramené à Ravenne, il est autorisé à finir sa vie en exil dans l'île de Lipari.

Cependant, une brève révolte du Comte Héraclien en Afrique prive Athaulf du blé réservé aux Wisigoths. Bien que cette révolte soit matée après l'échec du débarquement d'Héraclien en Italie par le Comte Marinus, Athaulf profite de la situation pour se rebeller contre Ravenne, montrant aussi peu de constance qu'Alaric. Il s'empare de Narbonne, de Toulouse et de Bordeaux. La cité de Marseilles résiste cependant. Athaulf, blessé et repoussé par Boniface, met fin à ses opérations.

Tentative de reconstitution d'une armée impériale
Devenu le nouvel homme-fort de l'Occident, Constance s'attache à restaurer la puissance militaire de l'Empire. Il installe les Burgondes à Worms et leur accorde le statut de fédérés. Surtout, il commence à rebâtir une armée digne de ce nom :
"Dès 413, Constance entreprend la reconstitution d'une grande armée comitatensis gauloise et quelques armées régionales, au moins en Espagne et en Illyricum (Not dign occ : 16 auxilia palatins, 31 légions et 12 esquadrons d'Equites pour le magister equitum galliarum avec des unités provenant soit de comitatenses des Comtes de Bretagne et de Strasbourg, soit d'ancien limitanei des Ducs de Mayence (Milites de Germersheim, Altrip, Boppard, Coblence, Andernach rescapés de l'invasion de 407) et d'Armorique promus pseudocomitatenses. Le Comte d'Illyricum attesté en 409 a 22 unités de fantassins, et le Comte d'Espagne cité en 421 a 16 unités de fantassins). Aux frontières et dans les régions les plus ruinées, les plus éloignées aussi de l'Italie et des côtes méditerranéennes, il avait remplacé les limitanei par des établissements militaires barbares d'importance variable et de statuts divers allant de tout le peuple des Wisigoths installés comme fédérés à un groupe du peuple burgonde établi en Germanie I et à de petites colonies de Francs, Alains et même Saxons, comparables aux colonies létiques du IV siècle."
(La formation de l'Europe et les invasions barbares" d'Emilienne Demougeot, éditions Montaigne, 1979, tome II, seconde partie, p.473)


Année 414
En Janvier 414, Galla Placidia épouse Athaulf à Narbonne, dans la demeure d'un noble romain.

Mariage de Galla avec Athaulf
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Guerre de Constance contre les Wisigoths
Constance coupe les Wisigoths de tout approvisionnement terrestre et marritime. Poussés par la famine, les Wisigoths abandonne la Gaule, après avoir incendiés Bordeaux, cité qui leur avait pourtant ouvert ses portes en 412. Pressé par Constance, Athaulf fait retraite en Espagne.
En 414, la Gaule est plus ou moins libérée. Les Wisigoths sont repoussés en Espagne, en compagnie des Suèves, des Alains et des Vandales. Les Burgondes sont installés légalement à la frontière rhénane.


Année 415
Naissance puis mort en bas-âge du fils de Galla Placidia et d'Athaulf, prénommé Théodose, à Barcelone.

Fin de la guerre de Constance contre les Wisigoths ; conclusion d'une paix
Craignant peut-être la jonction des forces des Wisigoths avec les autres peuples barbares en Espagne, Constance poursuit son effort contre les Wisigoths. Au début de l'année, les Wisigoths sont toujours présents à Narbonne, mais Authaulf ne tarde pas à faire évacuer le sud de la Gaule par ses troupes et prend la direction de l'Espagne. Constance, se sentant en position de force, organise un blocus naval et terrestre des Wisigoths installés en Tarraconaise, dans le Nord-Ouest de l'Espagne. Ce blocus efficace fait perdre à Athaulf la confiance des siens, en poussant les Wisigoths à la famine.

En août ou septembre, Athaulf est assassiné, peut-être par un fidèle de Sarus, tué après avoir soutenu Jovin et Sébastien en Gaule. Le frère de Sarus, Singeric, est placé sur le trône des Wisigoths, mais est assassiné après 7 jours. Son successeur est Wallia. Après une tentative infructueuse pour passer le détroit de Gibraltar, il se rapproche diplomatiquement de Ravenne. Des groupes de Goths se détachent du gros des Wisigoths à cette occasion.
Constance est fait Consul et Patrice. Il devient ainsi le second personnage de l'état en Occident après l'Empereur.

Rapport de force entre Wisigoths et impériaux après 410
En 408, Alaric disposerait en théorie de 35.000 hommes, Wisigoths et fédérés révoltés, quand Ravenne n'a plus à sa disposition immédiate que 20.000 soldats divisés en plusieurs garnisons (les unités régulières de l'armée des Gaules stationées à Pavie, les renforts envoyés à Rome en 409), auxquels il faudrait rajouter des unités des scholes palatines certainement restées à Ravenne pour la protection d'Honorius.
En 414-415, les Wisigoths fuient en Espagne devant la pression du général Constance. Comment expliquer ce revirement ?

Les Wisigoths n'ont eu que peu de pertes militaires. Ils n'ont pas livré de grande bataille après 408. Cependant, Athaulf, le successeur d'Alaric, ne faisait pas l'unanimité chez ses sujets. Il ne dirige qu'une partie de ces derniers, donc une partie des forces militaires wisigothes.

Par contre, on ignore le sort des fédérés mutins de 408. D'origines Alains, Huns, et Goths, il est possible que certains aient cherché à prendre part aux grandes invasions, en rejoignant leurs peuples respectifs. On sait d'autre part que les Wisigoths acceuillaient volontier ceux qui montraient de la bravoure au combat, sans prendre en considération l'origine ethnique. Cependant, des motifs politiques – la recherche de la réconciliation avec Ravenne – rendaient peut être la présence de ces troupes aux côtés des Wisigoths indésirables. Comment réconcilier les parties avec la présence de mutins auprès des Wisigoths, mutins qui avaient rendus possible le sac de Rome? Il est également possible que des fédérés rentrèrent dans le rang et revinrent au service de Ravenne. Après la sédition de Pavie et le coup d'état nationaliste qui s'ensuivit, et qui démontrait l'hostilité du pouvoir à leur égard, les fédérés étaient dans un premier temps restés fidèles à l'Empire; ce n'est qu'après le massacre des civils en Italie qu'ils rallièrent Alaric. Le sac de Rome avait peut être été une compensation pour le massacre des civils de 408. De plus, il est probable que seule une partie des 60.000 civils en question furent tués lors de la révolte anti-germanique de 408. Dans ces conditions, le statut de fédéré, avec mise à disposition légale de terres, présentait des avantages sur l'errance des Wisigoths.

Il est donc possible qu'une partie des fédérés quittèrent les Wisigoths. Une partie de ces soldats retournèrent sans doute auprès de Ravenne, la cour impériale ayant encore les moyens de solder des troupes. Le général Constance, tout occupé à reconstitué une armée digne de ce nom ne pouvait qu'encourager le retour de ces mutins.

Les Wisigoths ne doivent plus compter, pour l'essentiel, que sur leurs propres troupes, soit 20.000 guerriers dans le meilleur des cas (les Wisigoths souffrirent de la faim lors des sièges de Rome, et on ignore si l'expédition maritime d'Alaric vers la Sicile ou l'Afrique fut couteuse en hommes).

Les Romains pouvaient en théorie disposer de 20.000 soldats réguliers (l'armée de Pavie), et de 15.000 fédérés raliés à l'Etat romain, soit 35.000 hommes, selon une évaluation maximaliste, probablement éloignée de la réalité. L'armée reconstituée à Arles par Constance pouvait compter selon les effectifs de ses unités de 31.000 à 36.000 hommes, ce qui ne prend pas en compte les armées régionales d'Espagne et d'Illyrie elles aussi reconstituées, comptabilisant des effectifs compris entre 21.000 et 26.000 hommes. Mais la notitia dignitatum qui permet d'établir la liste de ces armées régionales n'apparait guère fiable pour la période précédant les invasions de Radagaise et des peuples germains de 406-407. Même avec des effectifs minimalistes, ces armées régionales comptabiliseraient plus de 50.000 soldats réguliers, davantage de ce que disposait Stilicon avec l'armée régulière et les fédérés en 406-408. On voit mal comment Constance aurait réuni une telle armée en quelques années, après les diverses crises des années 406-410 voyant la désagrégation de l'appareil militaire impérial.
Lors de la guerre en 414-415, les Wisigoths reculent, après diverses manoeuvres de Constance. On peut en conclure que l'armée de Constance est au moins aussi nombreuse que celle de Athaulf. Si ce dernier peut compter raisonnablement sur 20.000 guerriers, on peut estimer que Constance lui commande au moins autant de soldats.

Cependant, tout comme pour les troupes régulières, l'engagement des fédérés à une fin. Si ces derniers s'engageaient pour une vingtaine d'année, cela implique la disparition de l'armée de Constance vers les années 420. Constance avait peut-être là des troupes suffisantes pour détruire un à un les envahisseurs barbares. Mais remplacer à partir des années 420 ces troupes par des “romains” devait lui sembler impossible, l'obligeant à ménager les envahisseurs et à les intégrer, suivant là une vieille tradition romaine d'intégrer les vaincus.

Ultime problème à résoudre : la relation entre les corps fédérés et les corps réguliers gaulois dans l'armée de Constance. Ceux-là pouvaient-ils combattre ensemble, après les évènements de 408-410?


Année 416
Nouvelle installation des Wisigoths en Aquitaine
Galla Placidia est "libérée", et rendue à son frère Honorius.

Au printemps 416, moins de 6 années après le sac de Rome, Wallia et les Wisigoths se soumettent à Constance et aux Romains. Les Wisigoths inaugurent une nouvelle formule de foedus, où coexistent l'autorité civile de Rome et l'autorité militaire barbare sur un territoire donné. C'est le début de l'établissement en territoire romain d'un royaume barbare légal. Installés entre Toulouse et l'océan, ils réquisitionnent légalement une partie des demeures, reçoivent des bons de ravitaillement à prendre sur l'annone. Pour les fixer, on leur distribue des terres et des esclaves. En échange d'un ravitaillement, Les Wisigoths doivent donner en otage des membres de leur noblesse et sont chargés par Constance de réduire les peuples germains installés en Espagne.

Paul Veyne (L'Empire Gréco-romain) se livre à un calcul intéressant concernant le ravitaillement accordé aux Wisigoths. Un de ses correspondants, après de savants calculs, évalue à 70.000 sacs de blés contemporains les céréales (600.000 modii de froments, représentant 3.500 tonnes de blé) devant leur parvenir. Ce blé est livré au titre de l'impôt par l'Afrique. Pour le faire parvenir en Aquitaine, et en tenant compte de la restriction limitant à une demi-tonne le chargement des fourgons de l'Etat, réquisitionnés aux riverains, 7000 fourgons ont dû être nécessaires, l'équivalent d'un convoi unique de 70 km. L'administration impériale, préfet du prétoire des Gaules essentiellement, apparait donc comme étant toujours opérationnelle et efficace, en dépit des invasions et des destructions. D'un point de vue administratif, l'Empire se maintient.

La fondation du royaume de Toulouse
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Les guerres des Wisigoths pour l'empire
De 416 à 418, contre une allocation annuelle en blé, Wallia, roi des Wisigoths, est chargé de détruire les barbares qui pillent l'Espagne pour le compte des Romains (Romani nomini causa). Il mène trois campagnes et anéantit les Alains et les Vandales Silingues. Les groupes restant de ces deux peuples rejoignent les Vandales Hasdings, peuple destiné à un brillant avenir en Afrique. Les Suèves sont épargnés, soit parce que Constance met fin aux campagnes des Wisigoths, soit pour des motifs matrimoniaux : la fille de Wallia avait pour époux un Suève de haut rang. Wallia rend une Espagne globalement libérée, mais dévastée, à Honorius. Les Wisigoths semblent au cours de ces années rentrer dans le rang, mais cela est le fait de Wallia, qui sera le roi Wisigoth le plus fiable. Pour les Wisigoths, il s'agissait aussi de lutter contre des peuples autrefois alliés qui avaient désertés Alaric après les victoire de Stilicon au début du siècle.

Le chroniqueur Hydace relate ces guerres :
Athaulf, forcé par le patrice Constance à quitter Narbonne pour passer en Espagne, est égorgé par un goth à Barcelone, tandis qu'il était en conversation avec ses courtisans. Wallia,qui lui succède, fait la paix avec le patrice Constance; il fait la guerre aux Vandales Sillings, qui occupaient la Lusitanie et la Bétique.

Wallia, roi des Goths, agissant au nom de l’empire romain, fait de grands massacres de barbares en Espagne.

Tous les Vandales Sillings en Bétique furent exterminés par le roi Wallia.

Les Alains, qui dominaient les Vandales et les Suèves, furent presque complètement exterminés par les Goths. Ceux qui restèrent, désespérant après la mort de leur roi Atax, de pouvoir maintenir le souverain qu'ils éliraient, renoncèrent à l'avantage d'avoir un roi particulier, et se mirent sous la domination de Gundéric, roi des Vandales, qui s'était établi en Galice
(Hydace, Chronique, 416-418).

Constance était peut-être en mesure de battre définitivement les Wisigoths en 414-415, mais il n'en fit rien. Comme du temps de Stilicon, la faiblesse des effectifs de l'armée romaine rendait indispensable le recours à des fédérés, fédérés qui étaient désormais installés dans l'empire. Peut-être qu'une fusion entre Romains et Wisigoths était espérée, par l'entremise de Galla Placidia, ancienne reine wisigothe. Honorius voulait peut-être ménager des alliés qu'il pouvait toujours acheter pour aller défaire un usurpateur. Ou encore, peu désireux de risquer son ultime armée contre les barbares, Constance préféra faire combattre des barbares contre d'autres barbares, ce qui lui évitait les aléas d'une bataille. Herwig Wolfram, dans son livre "Histoire des Goths" émet l'hypothèse selon laquelle cette installation en Gaule répond aux intérêts de la noblesse gallo-romaine. Les Wisigoths devaient préserver l'ordre social, contre les Bretons d'armorique redevenus indépendants et les Bagaudes, paysans ou mineurs régulièrement révoltés. La noblesse gallo-romaine donne des otages aux Wisigoths à l'occasion de leur installation en Aquitaine.

Quelle que fut la raison ou le motif expliquant l'installation en Aquitaine des Wisigoths, Ravenne réitére son choix de 412 qui compromet l'intégrité de la Gaule. Cette occupation fait perdre de précieuses ressources à l'Etat, mais l'impôt semble-t-il rentrait mal.

Les empereurs Honorius et Théodose II interdisent à ceux qui sont “corrompus par la souillure de rites païens” de servir dans l'armée ou dans l'administration.


Année 417
Toute-puissance de Constance à la cour après son mariage avec Galla Placidia
Le premier janvier 417, Constance épouse Galla Placidia et rentre dans la famille impériale des Théodosiens. La position officielle de Constance est renforcée par son mariage avec la soeur d'Honorius, Galla Placidia. Cela peut toujours lui éviter une disgrâce, mais cela renforce aussi sa position auprès des Wisigoths, Galla Placidia étant une ancienne reine wisigothe. Peut-être est-ce une tentative de cimenter une alliance entre Ravenne et Wisigoths. L'avantage retiré politiquement par Ravenne semble évident.

Honorius célèbre un triomphe à Rome sur son rival Attale.


Année 418
Rétablissement de l'assemblée générale des 7 provinces
Le 17 avril, l'assemblée générale des 7 provinces méridionales de la Gaule dont le siège était à Arles, est rétablie par décrêt impérial après la demande du préfet du prétoire des Gaules. chaque année, du 13 août au 13 septembre, cette assemblée réunissait à Arles des fonctionnaires du gouvernement impérial et des représentants des provinciaux. La question du prochain établissement des Wisigoths à Toulouse y est alors certainement posée par Constance. Gouvernement impérial et classe sénatoriale gauloise se mettent d'accord sur l'établissement des Wisigoths en Aquitaine.

Wallia et les Wisigoths retournent en Gaule en été ou à l'automne 418, après deux ans de guerres en espagne. Ils reçoivent la province d'Aquitaine I et une partie des provinces de Narbonnaise I et Novempopulanie, un ravitaillement annuel en blé, et font de Toulouse leur capitale.


Année 419
Guerre vandalo-suève

Les Vandales entrent en guerre contre les Suèves, pour un motif obscur entrainant la querelle entre leurs rois respectifs.
"Un conflit éclata entre Gundéric, roi des Vandales, et Herméric, roi des Suèves. Les Vandales assiègent les Suèves dans les collines Nerbasiennes. (Hydace, Chronique, 419)
Les Romains profiteront de ces dissenssions dès 420 pour attaquer les Vandales.

Etablissement définitif des Wisigoths dans le sud-ouest de la Gaule
Les Wisigoths obtinrent, conformément au traité signé avec Ravenne la possession de la seconde Aquitaine, province comprise entre la Loire et la Garonne.
Wallia meurt dans la même année. Théodoric, fils d'Alaric, lui succède. Il ne montrera pas autant d'égard pour Ravenne que son prédecesseur. Il régnera jusqu'en 451.

Le nombre des ayant droits aux distributions publiques de blé n'est plus que de 120.000 personnes à Rome. Notons que seuls les citoyens romains pouvaient en bénéficier, il ne s'agit donc pas là de l'ensemble de la population de la ville.

L'Empire Romain en 419



Années 420-430
Eclosion en orient du Nestorianisme et du Monophysisme

Le nestorianisme est une doctrine prônée par Nestorius, archevêque de Constantinople de 428 à 431. Nestorius se démarque de la doctrine orthodoxe sur le point théologique le plus controversé de l'époque, la nature du christ. Selon l'orthodoxie, ce dernier a une nature divine et une nature humaine, réunies en une personne bien que distincte. Nestorius affirmait que dans le christ, une personne divine et une personne humaine agissaient comme une seule mais ne formaient pas l'unité d'un seul individu. Cette doctrine sera déclarée hérétique en 431 au concile d'Ephèse, et ses partisans seront persécutés par les Orthodoxes.
Le monophysisme lui aussi se démarque sur la nature du christ, qui ne possède qu'une seule nature, divine. Une tentative de conciliation échouera en 451 au concile de Chalcédoine. Le concile œcuménique de Constantinople en 680-681 condamnera formellement le monophysisme.
Monophysites et Nestoriens s'implantent surtout en Orient (Egypte, Syrie, Haute Mésopotamie). Les persécutions dont ils feront l'objet seront source de nombreux troubles, voir de séparatisme lors des invasions perses (602-628) et arabes (à partir de 634)


Année 420
Guerre contre les Vandales en Espagne
Après avoir utilisés à leur profit les Wisigoths en Espagne, les impériaux tentent d'achever la puissance vandale dans la péninsule. Ils interviennent directement en 420, en profitant de la guerre en cours opposant Suèves et Vandales depuis 419
"Astérius, comte d’Espagne, force par son intervention les Vandales à lever leur siège des Suèves. Le vicaire Maurocellus en tua un grand nombre à Braga quand ils se retiraient. Abandonnant la Galice, ils passèrent en Bétique" (Hydace, Chronique, 420).
L'armée romaine semble donc toujours opérationnelle à l'époque, apte à faire face aux menaces, cependant contre un ennemi affaibli par le conflit l'ayant opposé aux Wisigoths. Si les impériaux tentent d'installer légalement sur des terres romaines les Wisigoths, il ne semble pas en être de même avec les Vandales, arrivés plus récement dans l'empire (environ 30 ans après les Wisigoths), peut-être à ce titre perçus comme envahisseurs à la différence de Wisigoths partenaires à plusieurs reprises.
De la Galice, au nord-ouest de l'Espagne, les Vandales prennent la route du sud pour se rendrent donc en Bétique, face au détroit de Gibraltar, ce qui les rapprochent beaucoup de l'Afrique romaine encore inviolée par les peuples germains.


Année 421
Guerre contre les Perses
De 421 à 422, la guerre reprend entre l'Empire d'Orient et les Perses, en Arménie. Cette guerre aurait pour cause la persécution des chrétiens dans l'Empire Perse. Le maître de la milice Ardabur lance une offensive en Arménie méridionale. Les Romains ne parviennent pas à reprendre Nisibis perdue en 363. Les Perses s'emparent eux de la place-forte de Théodosiopolis au nord de l'Arménie romaine.

Elevation de Constance comme co-empereur ; mort prématuré de Constance
Honorius fait Constance co-empereur, sous le nom de Constance III. Mais l'espoir suscité par l'élévation de ce bon général est de courte durée. Constance III meurt après seulement 7 mois de règne.
La mort de ce brillant général marque la fin du répit caractérisant les années 412-421. Durant cette période, les Wisigoths rentrent progressivement dans le rang, sont installés légalement, et mettent leurs armes à la disposition de Ravenne. Les peuples envahisseurs de 407 sont affaiblis et l'Espagne est récupérée, au moins en partie. Seule une partie de l'Espagne, ainsi que le sud-ouest de la Gaule et la Bretagne échappent au contrôle de Ravenne. Les usurpateurs sont battus et la fonction impériale est à nouveau considérée.

Bilan des années 411-421
Le contexte politique et militaire sous l'égide de Constance est sensiblement différent de ce qui prévalait avant les années 406-410. Avant cette date, l'Empire et les peuples germaniques sont, bien qu'en contact de multiples façons (guerres, raids, commerce, transfuges, diplomatie, politique d'Etats-tampons) clairement délimités par une frontière (rhin, danube) où l'armée romaine monte la garde de façon efficace. Suite aux grandes migrations du début 407, ce contexte datant de l'époque de la fondation du régime impérial n'est plus de mise. Désormais, même intégrés dans le cadre de traité de fédérés, plusieurs peuples germaniques (Vandales, Wisigoths, Alains, Suèves) sont présents dans l'Empire-même. L'armée, reconstituée, doit autant surveiller les frontières que ces nouveaux-venus dans l'Empire. C'est pourquoi l'armée de Constance est stationnée à Arles, et non sur le rhin.
Constance, grâce à ses qualités, était parvenu à rétablir un équilibre. Ce dernier reste cependant fragile et nécessite une attention constante du chef des armées. Les successeurs de Constance ne parviendront pas à maintenir ce statu quo en raison de guerres civiles menées de 423 à 434.

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